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Du haut de son perchoir, l'étoile pourpre observait l'Univers. Sa fin approchait, Arcturus le savait. À terme, il deviendra une géante rouge, puis une nébuleuse planétaire et, quelques dizaines de milliers d'années plus tard, lorsque son cœur sera mis à nu, il deviendra une naine blanche.

Arcturus était bien plus imposant que le soleil qui brillait sur cette planète qu'il observait chaque jour et chaque nuit dans l'espoir de la voir.

Chaque soir, il brillait de mille feux en espérant qu'elle lèverait les yeux vers lui. Il était l'étoile la plus lumineuse de la constellation du Bouvier, brillant et orangé, peu éloigné de cette constellation de la Grande Ourse qui semblait intriguer tellement de petits êtres de cette planète.

Assis là, les jambes croisés, le regard porté vers la Terre, installé sur son corps céleste, il observait le crépuscule qui venait de s'installer.

Soudain,il sentit quelque chose s'approcher de lui, et, tournant la tête, il aperçut une silhouette légèrement plus petite.

Cesse donc d'attendre ainsi Arcturus, tu me ferais presque de la peine, lui lança Regulus lui adressant un sourire qui mêlait aussi bien l'humour et la peine.


Regulus et lui font parti du Triangle du printemps et n'était pas si loin l'un de l'autre, se rendant souvent visite, ainsi que la troisième petite étoile qui complétait ce triangle, Spica.

Arrête donc de te moquer de lui Regulus, intervint Spica, les rejoignant, aussi gracieusement que possible, Arcturus aurait presque pu croire qu'elle flottait. Laisse-le donc rêver un peu, ça ne lui fera pas de mal.


Depuis quand l'observes-tu Arc ? Combien de réincarnations a-t-elle eu ? Cinq ? Six ? Dix ? Vingt ? On ne compte même plus... Elle fut cette servante romaine, puis cette esclave égyptienne. Elle fut également cette Viking se battant auprès des hommes, cette française maîtresse du roi ainsi que cette princesse batarde. Elle fut femme d'un soldat durant une guerre, et infirmière pendant l'autre. Elle fut cette femme se battant pour ses droits et ses envies de mettre un fichu pantalon. Et j'en passe. Un visage différent, une peau différente, une apparence différente à chaque fois, mais tu la reconnais toujours, peu importe à quoi elle peut bien ressembler dans une vie ou une autre. Qu'a-t-elle de si particulier ?


Si tu la voyais comme je la vois intervint-il enfin. Si tu l'entendais rire comme je l'entends. Si tu admirais son sourire comme je l'admire. Elle a beau changer de forme sans cesse, elle n'en reste pas moins elle-même. Ce fichu caractère, et sa sensibilité. Cet éclat de vie et de joie dans son regard enfantin et pourtant parfois si mature. Ce regard qu'elle seul a et que je pourrais reconnaître entre mille. Il est toujours là. Peu importe sa vie, elle l'a à chaque fois.... Si seulement... Si seulement elle savait que depuis tout ce temps, je l'observe... Si seulement elle savait ce sentiment si fort que j'ai pour elle, faisant ce lien entre elle et moi, allant de la Terre, jusqu'au plus près des étoiles. Ce sentiment qui me fait me sentir tout étrange, qui noue ma gorge quand je lui rend visite et me donne envie de lui hurler à quel point je l'aime. A quel point je me consume chaque fois qu'elle est là et que je ne peux la toucher. Ce sentiment qui me détruit de ne pouvoir être à ses côtés et la regarder inlassablement naître, vivre, aimer un ou une autre que moi, puis mourir, et recommencer. Si seulement elle savait Reg...


- Elle serait totalement en panique mon pauvre vieux ! Lui répondit Regulus. Imagine ; elle apprend soudainement qu'un vieux croûton de plusieurs milliards d'années la regarde jour et nuit, de sa naissance à sa mort. Personnellement, je paniquerai !

Arcturus l'ignora. Il attendait, son cœur battant, de pouvoir voir la nouvelle forme de sa bien-aimée, l'ayant cherché partout depuis sa dernière mort.

Si seulement elle savait que j'existais...


Elle ne le saura jamais Arc...


Spica venait de se rapprocher de lui, soupirant, ayant de la peine pour lui. Elle posa sa main sur son épaule en signe de réconfort.

Tu ne peux rien y faire, tu dois simplement te contenter de l'observer comme tu l'as toujours fait, sans jamais chercher à entrer en contact avec elle, cela causerait ta perte...


Arcturus soupira tout en observant la Terre. Depuis peu, il avait retrouvé sa trace, et il attendait patiemment qu'elle sorte enfin de cette grande bâtisse où elle vivait afin de pouvoir la voir. Des années qu'il attendait ça. Chaque fois qu'elle mourait son coeur se brisait dans un éclat de mille morceaux avec cette peur qui lui nouait le ventre qu'elle ne revienne jamais. La dernière fois, après sa mort, elle avait pris bien plus longtemps que prévu pour renaître et il avait cru la perdre. Il savait qu'un jour, elle ne reviendrait pas et il craignait plus que tout ce moment.

Plus elle mourait, plus elle prenait du temps à revenir et plus Arcturus avait cette envie irrationnelle de prendre forme humaine, de la rejoindre, rien qu'une fois, même si cela devait signer sa propre perte.

Il savait que chaque âme enfermée dans ces étoiles avait cette possibilité de prendre une unique fois forme humaine, mais cela reviendrait à dire adieu à leur corps céleste. Et s'il ne pouvait plus redevenir l'étoile qu'il était, il ne pourrait plus jamais l'observer comme avant, il lui dirait au revoir définitivement.

De plus, s'il prenait forme humaine son âme serait également prise au piège dans un corps dont la durée de vie n'était pas définie et après sa mort, elle n'aurait pas la capacité de se réincarner. Cette âme serait souillée par la perversion humaine, souillée par toutes les émotions impures qui leur étaient étrangères. Alors personne n'avait jamais osé.

Et ce fut là, à cet instant, qu'il vit une silhouette sortir. Elle n'était pas bien vieille, une quinzaine d'années pas plus, mais Arcturus la reconnue de suite. À l'instant même où il la vit, son cœur loupa un battement. Elle était exactement comme la première fois qu'il l'avait vu. Ses cheveux châtains fraîchement coiffés voletaient derrière elle à cause de la légère brise du printemps qui soufflait en fin de journée. Il faisait déjà trop sombre pour qu'il distingue la couleur de ses yeux, mais elle était exactement comme dans son souvenir, ressemblant trait pour trait à celle qu'elle avait été des siècles auparavant. Son petit nez rond était parsemé de quelques taches de rousseur et son visage était éclairé par un sourire qu'il trouva splendide. Il n'était pas parfait, sa mâchoire supérieure chevauchait légèrement celle du dessous, mais Arcturus trouva ce détail adorable. Elle semblait appeler quelqu'un qui se trouvait encore dans la maison derrière elle.

Il jeta un regard vers Spica, lui demandant silencieusement de pouvoir la rejoindre et le simple hochement de tête de celle-ci lui procura une joie intense. En l'espace de quelques instants, sa silhouette composée de brume se retrouva non loin de sa douce qui ne pouvait le voir. De toute façon, elle ne l'aurait ni senti ni entendue... Elle était le portrait craché d'elle-même des millénaires plus tôt. Ses yeux noisette brillaient d'un éclat si significatif à elle-même, qu'Arcturus avait toujours retrouvé chez elle. Elle venait de reprendre la forme de sa toute première existence. Et le coeur de l'étoile se serra. La boucle venait-elle d'être bouclée, reviendrait-elle après ?

Face à elle, son cœur battant, il se rappela alors de la toute première fois où il l'avait vu, 2044 ans auparavant...

Plus près des étoiles.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant