Engrenage

L'orphelinat

Drrrriiiinnnggg !

A l'orphelinat, la cloche sonne l'heure du déjeuner. Ce midi, comme chaque midi, c'est le chahut. Tout le monde pousse. Au milieu de l'attroupement, il y a Lenny et Wissam. Tous les jours, ils choisissent un cobaye pour tester leur force. De vrais hors-la-loi. Et devinez sur qui ça tombe aujourd'hui? *Roulements de tambour* MOI!

Ces garçons-là ne retiennent jamais leurs coups, je pouvais m'attendre au pire.

Un jour, le sort est tombé sur un nouveau, Tom. Ils l'ont pris par le col puis soulevé, ils l'ont traîné jusqu'au jardin, lui ont attaché une corde autour de la taille, puis l'ont hissé au séquoia. C'est seulement deux jours plus tard qu'on l'a retrouvé. Il avait déjà commencé à se grignoter. Nous avions trop peur que cela nous arrive alors on a préféré ne rien dire. En y repensant, j'ai honte de nous .

Alors, maintenant que c'est mon tour, je ferme les yeux et serre les dents de toutes mes forces. Je me prépare mentalement et physiquement aux chocs puis me décide toutefois à rouvrir les yeux. A ma grande surprise, ce n'est pas moi cette fois qu'ils ont choisi pour lui faire sa fête mais un autre juste derrière. Mathéo .
Sous mes yeux, il se fait tabasser, piétiner, ces deux garçons ont un cœur en pierre. Ils s'en sont pris à un handicapé: ils fracassent son plâtre avec le dernier mot que sa mère lui avait écrit dessus avant de partir pour un long et magnifique voyage .

Je reste là, tétanisé par la peur. Finalement, je suis toujours cet égoïste. Nan, cette idée de moi-même me dégoûte trop. Je décide de me dresser contre eux. Avec un peu de chance, les autres me suivront... Je déglutis puis m'élance entre les deux brutes et le garçon. Les deux cancres me regardent étonnés.

— Comme ça on décide de protéger un petit qui sert à rien? C'est très courageux. Dis-moi, tu serais pas un peu téméraire? me questionna Wissam.
— Surtout que c'est très utile... Juste, mon gars, tu peux me dire qui tu protèges comme ça?

Je regarde derrière moi. Une foule indifférente. Pire, Mathéo n'était plus là, il m'avait laissé tomber. Mais ce n'était pas le plus horrible, tout le monde me regardait d'un regard qui voulait dire: "Pourquoi ne l'achèvent-ils pas encore? Il est différent, il ne mérite pas d'être parmi nous". Ce sentiment partagé de tous m'attristait. Pourquoi personne ne vient se rebeller contre ceux qui les ont maltraités pendant toutes ces années ? (Pour ma part, je suis arrivé il y a seulement une semaine.) On pourrait prendre l'avantage, eux n'ont toujours pas changé, ce sont restés les parfaits égoïstes qu'ils étaient avant. On aurait l'effet de surprise avec nous en plus...

Wissam profite soudain que j'ai la tête tournée pour me coller une droite en pleine face. Ce dernier, a une force colossale, limite titanesque.
Néanmoins Lenny aussi sait se démarquer, il me fait une balayette qui m'envoie basculer tête la première au sol. Je m'écroule, j'arrête mon inutile rébellion, à quoi bon aider des enfants qui ont déjà abandonné...

Puis j'entends, quelque part derrière moi, la voix de la tutrice qui se fraie un chemin pour aller me relever. Elle ôte la poussière que j'ai sur mon uniforme et crie sur les deux élèves. Devant la porte d'où était venue la tutrice, j'aperçois Mathéo. J'en déduis que c'est lui qui l'a prévenue. Bon gars ! Finalement, il ne m'avait pas abandonné. Ce sera bien le seul capable d'assumer sa lâcheté dans les parages. Je revois un court instant les visages des autres orphelins, tous avec ses yeux me regardant comme si j'étais lamentable... Cela m'écœure, je n'ai pourtant rien fait qui mérite cela...

Chaque jour se ressemblait

Mais aujourd'hui les chaines de l'engrenage de cette orphelinat se sont accrochées sur la roue dentée du dessus.

Mais les autres, dans le jugement permanent engendré par le mécanisme de la société, s'enracinent au carrelage glacée sous leurs pieds.

 Chaque soir

je réfléchissais

je cogitais à ce que je pourrais faire.

Que je ne faisait pas justement

pourtant...

J'ai eu l'envie de les aider.