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Pénétrant dans son appartement, Christa ajusta sa besace – qui pesait une tonne – et se dirigea vers la cuisine, sans même prendre le temps d'allumer la lumière. C'était dans un de ces placards qu'elle gardait précieusement ses deux dagues, en acier des monts argentés, et son épée. La jeune femme avait toujours eu ce petit coté guerrière. Elle savait pertinemment que dans un monde comme le Monde Oublié, les personnes qui ne savaient pas manier l'épée mourraient sous les coups de celle-ci. Elle avait appris, grâce à Arès. Enadora comptait de très bons combattants, et si Arès ne faisait pas parti de ceux-là, sa vie de vagabond l'avait contrait à se débrouiller comme il pouvait, et surtout, à se montrer créatif. Christa elle-même était une femme des plus créatives, surtout lorsque sa vie ou celle de l'un des siens en dépendait. Pourtant, cette créativité ne l'avait pas empêché d'échouer...

Chassant ses pensées, elle pénétra dans la cuisine, mais fut stoppée par une voix très familière.

« Où étais-tu ? Je suis venue te voir en début d'après-midi mais tu n'étais pas là. Je suis repassé vers 17h, toujours personne. 19 heure, rien. J'ai pris les clés dans notre cachette secrète, je commençais à m'inquiéter.

– Luke, il ne fallait pas. J'avais des choses à faire. »

Évasive, Christa n'osait regarder son frère dans les yeux, de peur qu'il perçoive le malaise. Elle ne souhaitait pas lui mentir, mais elle ignorait comment elle pouvait bien lui dire la vérité sans le blesser. Elle savait que si le jeune homme veillait sur elle et ses amies, il préférait oublier leurs aventures à Enadora, allant même jusqu'à souhaiter oublier l'existence même de ce monde. Pour se protéger, il préférait tirer un trait définitif. Christa le comprenait mieux que personne, et elle respectait cette décision, aussi, ne pouvait-elle pas l'informer de ses plans.

Luke avança vers sa sœur cadette. Il ne la connaissait si bien qu'il sentait qu'elle lui cachait des choses. Les deux frères étaient comme connectés. Ils se comprenaient en un simple regard, et pouvaient lire en l'autre comme dans un livre ouvert. Ils étaient mutuellement leur plus grande force, mais aussi leur plus grande faiblesse. Il la scruta d'un air interrogateur. Ses yeux étaient du même noisette que ceux de Christa, mais ses cheveux, loin du auburn de sa sœur étaient plus proches d'un marron chocolat. Ils ne se ressemblaient guère physiquement, mais leur manière de s'exprimer et leur gestuelle témoignaient de leur lien de parenté.

« Qu'est-ce que tu as dans ton sac ?

– Rien, juste des vêtements. Je comptais aller dormir chez une amie. Je passais juste en coup de vent. »

Il dévisagea Christa, une moue mécontente, avant de faire claquer sa langue.

« Pourquoi tu essaies encore de me mentir. Avec le temps, tu devrais savoir que ça ne marche pas. »

La jeune femme souffla, résignée. Il n'avait pas tord. Mais elle ne souhaitait pas lui faire du mal, encore. Elle avait assez fait de dégâts dans sa vie qu'il était inutile de remuer le couteau dans la plaie. Elle fronça les sourcils, hésitante.

« Christa, qu'est-ce qui ne va pas ?

– Luke, je... J'ai fait quelque chose aujourd'hui. J'ai décidé d'agir pour réparer mes erreurs.

– Je ne comprends pas...

– Je suis allée voir l'Apothicaire. »

Une vague de stupeur traversa le visage de Luke. L'Apothicaire était connu comme le passeur entre le Monde Oublié et le Monde Terrestre. Issu d'un père d'Enadora et du mère terrienne, les parents, enfreignant une des lois de la magie d'Enadora, s'étaient vu enlever leur fils qui n'aurait comme existence qu'une vie destinée à faire passer les gens entre les deux mondes. Il veillait à l'équilibre et au respect des volontés de l'Oeil, que certains appelaient également Destin. Aussi, chaque passage n'était pas gratuit. L'Oeil attirait et renvoyait librement les personnes à Enadora, mais si quelqu'un souhaitait passer par l'Apothicaire pour voyager, cette personne devait nécessairement en payer le prix, pour rétablir l'équilibre de la magie, seul repas de cette âme errante. Les amis avaient déjà eu à faire à l'Apothicaire : s'ils avaient atterri à Enadora en suivant des lumières dans les bois, leur retour avait été possible grâce à cette homme brisé. Mais chacun d'entre eux comprenait à présent quel avait été le prix. Le renoncement. Le vide.

Souvenirs d'EnadoraWhere stories live. Discover now