C'était une femme, elle s'appelait Irene. Une quarantaine d'années derrière elle, et elle avait un léger problème : elle n'arrivait pas à jeter quoi que ce soit. Même les déchets, elle les emmagasinait, elle les emmenait toujours partout où elle allait. C'était lourd, c'était encombrant, c'était moche ; elle les emmenait dans tous les cas. Elle les rangeait dans des valises, de toutes formes, tailles et couleurs, certaines à roulettes qui pivotent dans tous les sens et avec une coque renforcée, vous savez, celles qui sont pratiques pour prendre l'avion. On peut même y mettre un cadenas. D'autres étaient des vieilles valises récupérées de sa grand-mère, qu'elle n'avait pas réussi à jeter elles aussi. Elle y jetait sans attention tous ses objets, lettres, certaines étaient déchirées ou encore un peu brûlées sur les côtés, mais elle les gardait dans tous les cas, parce qu'un jour elle s'en servirait, un jour elle en aurait besoin, et ce jour là, elle serait bien heureuse de les avoir gardées. Bibelots cassés, tasses, verres, fourchettes, cuillères, un morceau de nappe déchiré qu'elle avait un jour trouvé au bout de sa rue. Qu'est-ce que ce morceau de nappe déchiré pouvoir bien faire ici ? Elle le ramassa, et le fourra dans sa valise numéro quatre, Josie de son prénom. Chaque sac et valise avait son propre nom. Elle avait des discussions avec eux, de temps en temps ; mais jamais en public, Irene n'était pas folle, voyons.
Un jour, la femme d'une quarantaine d'années derrière elle se dit qu'elle allait partir en voyage. Elle allait prendre le bus, puis le train, puis l'avion. La destination, le Brésil. Pourquoi le Brésil ? Pourquoi pas ? Alors Irene prit ses nombreuses valises, puis partit de chez elle pour aller prendre le bus qui la mena jusqu'à la gare. Elle était pressée, et ne cessait de regarder sa montre. C'était une femme stressée par le temps. Soudain, elle entendit le train qui arrivait, mais ne pouvait pas encore le voir de l'endroit où elle se tenait sur le quai. Irene posa brusquement ses nombreuses et lourdes valises, et fit cinq pas, droit devant elle, sans s'arrêter.
Puis le train passa.
