Stéphane est seul. Il se trouve moche. Il n'a pas confiance en lui et il est un peu naïf. Il a des poils qui lui dépassent des oreilles et du nez, et, s'il ne s'épilait pas juste entre les deux yeux de temps en temps, ses sourcils seraient probablement déjà mariés. Stéphane sue. Il sue beaucoup trop. Le moindre effort et c'est de drôles d'auréoles qui lui apparaissent au niveau des aisselles. L'odeur est parfois gênante. Mais jamais autant que celle de son haleine. Parfois même, quand Stéphane parle, soit on doit quitter la pièce, soit tourner la tête, mais on ne peut rester indifférent.
Stéphane, trente-deux ans, moche et malodorant, n'a jamais connu l'amour. Enfin si, l'amour pour les séries télévisées, les consoles et la pizza, ça, il connaît. Un peu trop même. Sa mère lui a pourtant répété cent fois de lâcher cette manette, et il lui est même déjà arrivé de cacher le câble d'alimentation du téléviseur. Mais il s'en fout. Aujourd'hui Maman n'est plus là pour lui dire quoi que ce soit. Enfin, il s'en fout... Disons plutôt qu'il s'en foutait. Car aujourd'hui, Stéphane a un rêve : ne plus être ce personnage ingrat que tout le monde connaît. Il veut avoir, une vie, une vraie vie, comme dans les films, avec des amis, une famille, et des centres d'intérêts. Un travail aussi, Stéphane ne sait pas ce qu'est le travail. Il en entend pourtant tellement parler, que ce doit être excitant !
C'est maintenant que la vie de Stéphane commence.
C'est lundi. Il fait soleil. La lumière baigne la chambre d'une douce chaleur, cette chaleur caractéristique des matins de journées où tout ne peut que bien se passer. Les vêtements qui traînent par terre gâchent quelque peu ce tableau idyllique. On trouve également dans cette chambre un lit, avec des draps sales. De ces draps dépassent deux pieds. L'un est nu et crevassé, l'autre est encore recouvert d'une chaussette déjà portée la veille. Ces deux pieds sont ceux de Stéphane. Mais pas de n'importe quel Stéphane : d'un Stéphane motivé pour reconstruire sa vie.
Il se lève et se dirige vers la cuisine. Entre temps, son petit orteil gauche rencontre, comme un matin sur deux, ce coin de porte tout juste assez pointu pour lui faire pousser un petit cri aigu. Dans la cuisine l'attendent la vaisselle de la veille et le doux fumet qui s'en dégage. Habituellement, il remet à nouveau cette vaisselle de la veille au lendemain. Mais comme aujourd'hui est un jour nouveau pour lui, Stéphane décide de s'activer. Il empoigne son éponge, entame son liquide vaisselle, et commence à frotter. Une assiette, puis deux, puis trois, et vient le tour des couverts ! En quinze minutes, l'affaire est réglée. C'est la première fois qu'il termine de laver sa vaisselle aussi rapidement ! Il se sent fort et courageux ! Mais reste à l'essuyer... Mmmh ça séchera bien avec le temps ! D'ailleurs, ses céréales l'attendent, avec un bol et un peu de lait.
Sur la table traîne encore ce journal qu'il a obtenu gratuitement la semaine précédente. Il l'ouvre et le feuillette, renversant au passage, une bonne moitié de son bol sur son pantalon. Peu importe, car soudain son visage s'illumine : il aperçoit une rubrique «offres d'emploi». La boulangère du coin cherche un associé. Mais cela ne l'intéresse pas. D'abord parce que cette boulangère est la seule personne qu'il trouve encore plus moche que lui, et ensuite parce qu'il faudrait qu'il se lève tôt, beaucoup trop tôt. Stéphane sait qu'il a un métabolisme fragile, et il ne voudrait surtout pas mettre en péril son organisme pour ce travail.
En dessous, une autre annonce : le zoo municipal recherche quelqu'un pour s'occuper de l'entretien. Il saisit alors son téléphone et compose le numéro indiqué.
" - Allô, j'appelle pour le poste de technicien de surface qui est proposé par votre zoo !
- Le poste d'homme de ménage ?
