Chapitre 5

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Quai des Loges

14 avril 2017 – 9 h 07

Si son appellation laisse entendre à certains qu'il s'agit d'un petit coin paisible abritant des propriétaires bourgeois, le fantasme s'arrête à ce nom bien choisi. Cette succession d'immeubles en briques rouges ne renferme rien d'autre que des appartements étroits et miteux. Bien entendu, aucune de ces fenêtres n'a de double vitrage. Nous pouvons ainsi profiter pleinement du crissement des rails aériens, de jour comme de nuit.

Le quai des Loges est une arnaque. Il suffit d'y avoir vécu pour le comprendre...

Vous vouliez une vue dégagée sur une baie maritime ? Alors, remballez vos bagages ! Le seul panorama offert se réduit aux passages répétés de trains bons pour la casse. Un métro à ciel ouvert, soi-disant utile dans le désengorgement des stations souterraines. Le maire et ses assistants sont bien sympas mais, en voyant ce projet, ils ont dû oublier de penser à nos insomnies.

Les murs, aussi fins que du papier à cigarette, vibrent sans arrêt pour le plus grand bonheur de nos oreilles et du mobilier. Un bibelot sur une étagère ? Oubliez tout de suite ! À moins que vous n'ayez un stock d'adhésif double-face.

Je me surprends à espérer que mon augmentation m'aidera à trouver un logement plus décent. Un inspecteur ne pourra être performant s'il passe la majorité de ses heures de sommeil à scruter le plafond.

Tu n'aurais peut-être pas dû lui demander de venir ici...

L'esprit vaseux, j'ouvre le réfrigérateur. Je me retrouve, au départ, étonné de le voir aussi rempli avant de me rappeler que mon invité ne devrait pas tarder à débarquer.

Le lendemain de notre tête-à-tête chaotique, j'ai longuement discuté avec Zack par téléphones interposés. Il m'a détaillé les modalités de sa rupture, m'expliquant qu'elle lui avait laissé jusqu'à la fin du mois pour libérer les lieux ; qu'en attendant, Sierra était repartie vivre chez ses parents. Quant aux raisons de sa décision, mon ami ne s'est pas étendu sur le sujet.

Elle n'en avait aucune...

J'ai tout de suite réagi avec une proposition qui me semblait évidente : celle de l'accueillir chez moi, le temps qu'il puisse se retourner. Rester seul au domicile de son ex ne pourra que le faire virer marteau. On a tous conscience des dégâts causés par des rafales de souvenirs. S'il veut préserver sa santé mentale, mieux vaut qu'il s'éloigne de l'endroit où ils se sont aimés.

Je dévisse le bouchon du litre de lait, puis le porte à mes lèvres.

Une rasade apaise ma gorge sèche et j'entends frapper à la porte.

Prochaine fois, mets ton réveil plus tôt !

Je prends une autre gorgée pour finalement me persuader que ce n'est pas grave d'aller lui ouvrir avec ma tronche enfarinée. De toute façon, il me considère comme un pote. Rentrer dans un jeu de séduction n'aboutirait qu'à des débouchés stériles...

– Ouah ! T'es en retard ou en avance, mon gars ! Halloween c'est pas aujourd'hui !

Il se penche en arrière, utilisant sa valise à la manière d'un bouclier. Contrairement à mon laisser-aller, il marque des points. Un style élégant, des cheveux peignés. Adieu la barbe négligée, le dandy est de retour !

– Moi aussi, je suis content de te voir, Zack...

Je m'écarte pour l'inviter à entrer, mais il se presse déjà à l'intérieur. Manifestement, ce séjour au pays des ouvriers le place dans un état d'excitation avancé.

– Tu n'as pris que ces affaires ?

Son sourire s'élargit.

– J'ai fait le tri de mon dressing et... je ne me voyais pas emporter les vêtements que Sierra m'avait offerts.

– Et elle te gâtait, visiblement.

Après l'avoir incité à me confier ses effets personnels, je l'accompagne jusqu'à sa chambre. Un convertible calé entre un bureau et une cloison. L'unique luxe d'un foyer modeste.

– Ça te convient ?

Je dépose la valise à terre, surveillant son inspection de la pièce.

– L'endroit parfait ! Tu m'as l'air toujours aussi bordélique !

Il rigole et me gratifie d'un clin d'œil.

Je ne parviens pas à le suivre dans son engouement surjoué.

– Que veux-tu ? Je suis irrécupérable...

Mes doigts massent ma nuque, déliant un réseau de vertèbres contusionnées.

– Je te remercie de m'avoir convié.

– Pas de remerciements qui tiennent. C'est la base de l'amitié.

Le bonheur que je ressens de le voir si épanoui est inqualifiable. Tout compte fait, il tirera probablement un trait définitif sur cette histoire douloureuse plus vite que prévu. Ou ceci n'est qu'une mascarade qui déguise un mal-être davantage profond...

Don't Save MeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant