Je marchai sur la Voie des Tilleuls, ce lieu dans lequel épiceries fines et commerces bon marché se côtoyaient. Un vieillard mendiait une piécette pour se nourrir, lui, et le nourrisson qu'il serrait tendrement, presque avec fermeté, dans ses bras. Une bourgeoise, plus loin, qui, couvrant de sa main vernie de vert impérial son collier de perle nacrée, lui lança un regard aussi dédaigneux qu'éducateur. Derrière elle se tenait une statuette de chiot, semblable à celle présente devant cette gare japonaise dont le nom m'échappait. Cette sculpture de marbre accueillait les clients du toiletteur pour chien qui s'appelait Shibuya, tenue par une femme aussi avare que fortunée. Mme Pinterson, une anglaise n'ayant d'anglais que l'accent, nichant au 14 Rue des Framboisiers dans le 7ème arrondissement de Paris. Des escaliers interminables se dressaient entre la porte d'entrée de son immeuble et moi lorsque je lui livrais des colis pour sa brasserie. C'était un petit établissement auquel ma mère avait apporté des fournitures de restauration. Ce réfectoire au 5 Avenue Romain Gary à Marnes-la-Coquette était une sorte de réceptacle de riches hommes d'affaires venant parler "business". Au menu : foie gras et saumon de chez "l'artisanal le plus côté de France". Pour n'y être allée que lors de la soirée d'inauguration pour les amis de Mme Pinterson, je pouvais largement affirmer que cette chère Madison savait mettre les petits plats dans les grands. Une effluve de pain d'épice sûrement due au vernis pour bois de haute qualité dont j'ai pu remarquer le flacon, sur lui, une inscription : "Senteur de Prestige : Citron intense" circulait dans la salle. Je n'ai senti aucun citron, ou peut-être mon odorat était-il défaillant ? Soit, je continuait à manger mon saumon au thym dans son écrin de pâte feuilleté, tout en me disant que mettre de la crème au lait de chèvre dans une saucière était prendre un risque quant au gaspillage.
C'était en repensant à cette célébration à la brasserie que je repris mes esprits et vis mon point de départ. C'était une supérette biologique dans laquelle s'entrelaçaient des légumes dont les prix avaient aussi enflé que leur taille avait diminué. Je pris mon bocal de confiture de figue certifié "Naturellement naturel". La caissière dont je connu le prénom après quatre passages en lisant son badge vert lime sur lequel il est écrit Nala était encore et toujours munie de cet emballage de chewing-gum qu'elle malaxait entre son pouce et son index. Une véritable dissonance au service de l'agacement qui terrassait la patience d'une cliente régulière, Mlle Vera. C'était une jeune femme qui se trouvait être la personne ayant sculpté la statue du Shibuya, une belle facture de douze mille euros dont Mme Pinterson se plaignait sans cesse auprès de moi à l'époque où j'étais sa livreuse.
Après l'encaissement de ce pot de marmelade aussi cher qu'un paquet de cigarette, je me dirigeait, ce sac en carton affreusement encombrant en main, rendre une visite à cette chère Madison. Après avoir monté les escaliers en bois grinçant de son immeuble parisien, j'hésitais à toquer, me demandant si elle ne dînait pas à l'heure qu'il était. Je jetai un prompt coup d'œil à mon splendide collier-montre. Dix-neuf heure, rien n'était sûr... je me lançai et saisis le heurtoir orné d'une tête de paon en pierre dont les yeux étaient en péridot, qui était parfaitement exécutée. J'attendais patiemment, puis, dans un élan de vigilance, entendis sa geinte habituelle en se levant de son canapé en soie sur lequel elle disposait soigneusement un coussin en lin, ce-dernier servant à la rehausser. Tout cela afin qu'elle fût confortablement assise sur son divan en mangeant car sa gracieuseté ne pouvait pas se lever pour aller jusque sa salle à manger. Une pièce immense meublée par les plus grands noms du domaine, joyeusement nettoyée par Mérily, la domestique venant tous les lundis, jeudis et vendredis. Le grincement de la porte offrait une symphonie à la hauteur de la générosité de mon hôte.
"Anyl ! Quelle bonne surprise ! dit-elle d'un air enthousiaste
- Bonsoir Madame Madison, cela faisait longtemps.
- Depuis Marnes n'est-ce pas ?
- Oui exactement, comment vont les affaires à la brasserie à ce propos ?
- Mais très bien Anyl, très bien. dit-elle fièrement
- Heureuse que vous le soyez. dis-je avec entrain
- Oh mais... excuse-moi je perds la tête. Entre enfin, entre ! dit-elle confuse
- Ne vous inquiétez pas pour ça Madame. dis-je presque amicalement"
Une atmosphère presque vivifiante envahissait son salon duquel se dégageait, comme à chacune de mes visites, une subtile odeur de jasmin et de rose. Un parfum diffusé par les pots de fleur parfaitement entretenus par Mme Pinterson elle-même. Des vases en porcelaine antique ornés de détails en or et en rubis. C'est entourées du meuble en bois d'acajou de Cuba qui soutenait ces magnifiques contenants et de cette ronde-bosse bestiale de panthère tout droit venue de Russie que Madison et moi discutions durant quelques minutes. C'était une conversation habituelle dans laquelle elle me racontait pour la énième fois le caractère que donne la péridot à ce cher paon. Un dialogue répétitif étoffé par des propositions de chocolat à la liqueur de cerise de chez un traiteur-chocolatier Suisse que seul cette chère dame savait apprécier à sa juste valeur. Une cinquantaine d'euros les vingt-cinq dômes pour être plus précise. Un véritable bal cognitif duquel je serais sûrement sortie moins bête. Un bal serti d'histoires dans lesquelles elle prononçait par mégarde quelques mots en anglais en exprimant sa désolation par un "excuse me" tout en battant vivement des cils. Un battement duquel volaient quelques particules de mascara, ce mascara dont elle seul savait dompter le noir intense auquel il faisait accéder toutes ces vieilles femmes hargneuses du quartier. Après lui avoir dit qu'il se faisait bien tard et qu'il fallait que je m'en aille, elle m'embrassa, comme à son habitude, le sommet du front, avant de me réprimander de faire attention en rentrant.
Une fois sous la vermeille clarté du crépuscule parisien, je me dirigeait vers mon appartement du 58 Boulevard de Mélissandre dans le 17ème arrondissement, pour cela, je devait traverser l'Avenue des Honoraire et la Rue des Roses Bleues. Deux lieux ayant pour point commun d'avoir les pavés les moins solides de cette ville. Je trébuchai une demi douzaine de fois au moins rien qu'en passant par ce duo de chemins sinueux semés d'embuches. Enfin arrivée à bon port, je m'assis, harassée. Harassée d'avoir passé une journée à fouler ces pierres dans lesquelles s'était coincé une dizaine de fois le talon de ma chaussure droite qui avait nouvellement la particularité d'être abusivement incliné. Une obliquité aussi désagréable que peu charmeuse, ma sortie du jour consistant initialement à aller acheter cette confiture unique en son genre sans me douter qu'en sortant de chez moi, j'allais me coincer le pied entre les lattes du hall d'entrée. C'était après ce triste incident que j'eus la naïveté de me dire que le cordonnier me réparerait cela en quelques minutes. Que nenni, il me dit de venir récupérer mon soulier le lendemain alors que je n'avais point de seconde paire avec moi à ce moment là.
Une aventure des plus épique qui me fis penser que cette journée ne m'avais annoncé que du bonheur en perspective. C'était en retirant ces assassins podaux que j'allumai ma télévision pour un marathon de séries sans précédent. Ce fut à ce moment là que je me rendis compte que mon réseau wifi avait été coupé pour "des raisons de réaménagement temporaire". N'avais-je pas raison en me disant ce matin que ce cher 4 janvier allait être des plus prometteurs ? Je réchauffai ces nouilles-minute submergées d'eau au micro-onde, le tournoiement de ce gobelet contenant une merveille d'Asie m'hypnotisait. Du réel bonheur tenant dans un récipient cylindrique bien peu onéreux, un régal pour ma langue pâteuse et rêche, cet appendice n'ayant soutenu aucun aliment depuis hier soir. Après les deux minutes conseillées pour la cuisson de ce plat de fortune, je me décidai de regarder pour la huitième fois ce film téléchargé illégalement dont je connaissais probablement les trois quarts des dialogues : "Décollage...".
Merci à tous d'avoir lu ce premier chapitre ^^ j'espère qu'il vous aura plus, je vous donne rendez-vous au prochain chapitre dans lequel vous en apprendrez plus sur notre protagoniste et d'autres personnages secondaires ✌(◕‿-)✌
VOUS LISEZ
Gemini
Aktuelle LiteraturAnyl est une jeune femme tout ce qu'il y a de plus normal. Issue de la classe moyenne parisienne, elle mène une vie aussi banale qu'atypique, une véritable épopée dans laquelle se mêlent sentiments et désillusions...