5 - Liberté

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Au petit matin, je n'ai pas le souvenir immédiat de mes déboires de la veille. Il n'y a que la douleur sourde de mon visage qu me ramène à la réalité. Tout s'enchaîne très rapidement dans mes pensées. Dans quoi t'es tu fourré mon vieux ? Une houleuse vague de honte m'assiège à la pensée de ma rencontre foireuse d'hier soir. Je n'ai pas été raisonnable en cédant à une pulsion entravant directement mon ego et mon compte en banque. Parce que financièrement, ce n'était pas le moment de succomber à de tels bassesses. Je reste allongé un certain temps, naviguant dans la brume du réveil soudain.

Je repense au visage d'Anna, à son sourire et ses yeux bleus ciels et me surprend en pleine érection. Pas la mécanique du matin, mais bel et bien une vraie, causée par mes fantaisies. Ma main se dirige inconsciemment vers ma queue et entame un lent puis frénétique massage. Je l'imagine sous tous les angles, je me délecte de son odeur vanillée, je fantasme le goût qu'elle me laisserait sous les coups répétés de ma langue, de ses gémissements prononcés de sa voix de toute jeune femme, de la viscosité coulante de sa chatte qui huilerait à merveille mon engin tandis que je sombrerai petit à petit dans un orifice toujours plus étroit. Je jouis assez vite. Pollution matinale.

Un café, un bronze, une douche et c'est parti. Dans le métro, je reprends mon petit jeu voyeur mais ne trouve que des exutoires fades à l'opposé de la puissance érotique d'Anna. Le travail s'enchaîne, la journée passe, il fait toujours aussi chaud, je m'ennuie toujours autant. Je bande toute la journée mais je ne fais rien. Je réserve mon ardeur pour ce soir. Le temps s'enfuit et lorsque l'heure de la délivrance s'affiche, je suis déjà en route pour Bastille. 19 heures, ça ne me laisse pas le temps de passer chez moi me débarrasser de ces affaires pleines de sueur, ni même de prendre une douche.

Un confort qui ne serait pas de refus d'ailleurs, tant l'air est moite, la chaleur lourde, on attend l'implosion du monde sous cette pression infernale. J'adore. J'en viens à figurer qu'il suffirait d'une allumette pour que tout s'embrase. Que disparaisse tout ce beau monde, hommes, femmes, enfants, toutes ces créatures bipèdes déambulant comme des cadavres animés, dégoulinant de peur, de haine, de frustration, de résignation et de dépit, de liquides divers et variés s'échappant de tous leurs orifices, l'extrême pestilence du genre humain, anus, urètre, gosier, excrément miasmatique, urine corrosive, glaire putride de corps en décrépitude. Tout ça réduit en un grand brasier rédempteur d'où renaîtrait la simplicité du besoin et de son accomplissement.

J'arrive au point de rendez-vous trente minutes en avance. Pas un signe d'une Lilith mâtinée attendant ma venue. Elle doit être du genre pile à l'heure. Je me pose contre la rambarde de métro et observe cette fourmilière de noctambule défiler sous mes yeux. On est vendredi soir et la cohorte d'assoiffés se précipitent dans les bars pour s'enquérir des derniers happy-hours. L'ivresse économe. Mais ce qui m'interpelle le plus, ce sont les punks à chiens, clochards volontaires et bien mieux conservés que leurs congénères. Plus jeunes aussi. Bière premier prix à la main, ils scrutent d'un regard dédaigneux cette populace soumise léchant le rectum gangrené du capitalisme, populace à qui ils réclament la charité. Partis d'un système qui ne voulait pas d'eux pour en rejoindre un autre plus aliénant encore.

À 18 heures 57, j'aperçois ma future succube arriver. Le monde s'écarte face à ces cuisses galbées, à ce buste incurvé, à ces lèvres honorant l'air qu'elles palpent. Ses yeux plus bleus que le plus plat des lagons transpercent la foule pour m'atteindre sans prêter attention aux parasites voisins, sans dédain, sans mépris, tout en confiance. Marche triomphante. Insolente tentatrice, je bande.

Soudaine turgescence qui ne passe pas inaperçu.

- Content de me voir, on dirait.

Cacher maladroitement cette mauvaise manie n'est plus de mise semble t-il.

Lait et SangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant