Je retins une exclamation agacée de la langue après avoir lancé un coup d'œil à l'horloge du tableau de bord. Il y avait eu des ralentissements sur la route et j'accusais un petit retard d'un quart d'heure par rapport à l'horaire prévu. J'avais conscience que ce n'était pas grave en soi puisque ce rendez-vous avec mon cousin, Roan, n'avait rien d'officiel et qu'il me pardonnerait ces quelques minutes de contretemps, cependant, c'était un fait, j'avais une sainte horreur d'arriver en retard quand j'étais attendue quelque part ! Cela dénotait un manque flagrant de sérieux.
Nerveuse, je me mis à tapoter le volant de la camionnette de location. La veille, mon cousin m'avait assuré que toutes ses affaires étaient déjà emballées, prêtes à être chargées. Roan, qui connaissait ma ponctualité légendaire, risquait de s'inquiéter ou, pire, de croire que je lui avais posé un lapin. Me souvenant que mon téléphone était resté au fond de mon sac, je pestai intérieurement de ne pas pouvoir le prévenir. Or, s'il y a bien une journée entre toutes où je ne voulais pas qu'il se fasse du souci, c'était bien celle-ci ! Il avait déjà fort à faire avec une mère poule, sans que j'en rajoute.
Ce matin, Roan allait enfin quitter le toit maternel pour voler de ses propres ailes. Au printemps dernier, dès qu'il m'avait appris qu'il avait été accepté à l'Université de son choix, j'avais été ravie pour lui et je m'étais proposé de l'aider à déménager et de le conduire à bon port. À présent, à un mois de la rentrée, il avait décidé de prendre possession de sa chambre d'étudiant pour se familiariser avec le campus. Ce qui me paraissait être une sage décision, car j'estimais que le fait de s'éloigner de sa mère, qui l'étouffait littéralement, ne pouvait être que bénéfique pour lui...
Depuis la mort de son mari, ma tante Paula se conduisait étrangement avec son fils. Il faut dire qu'elle avait toujours été très protectrice envers son enfant unique. Mais, durant ces dernières années, c'était devenu franchement excessif. Sa manière à elle de surmonter son deuil en reportant tout son amour sur lui ? Sûrement. Je n'avais vu mon cousin qu'à de rares occasions. À vrai dire, je n'avais pas moi-même été très « disponible » pour qui que ce soit pendant quelque temps... Et, quand j'avais pu revenir vers lui, c'était encore et toujours sa mère qui jouait les dragons. Elle m'avait même signifié à plusieurs reprises que je n'avais rien à faire dans la vie de son fils !
Quelle harpie !
Évidemment, je ne l'avais pas écoutée. Pour une raison qui m'échappait, Paula ne m'avait jamais appréciée. Et c'était réciproque ! Elle avait toujours vu d'un mauvais œil la complicité qui nous liait... Était-elle jalouse ? Avait-elle eu peur que je ne lui vole l'affection de son fils ? Ce qui était ridicule étant donné qu'il l'adorait ! Mais la jalousie se contrôlait-elle vraiment ? En tout état de cause, maintenant que Roan était la seule famille qui me restait, je comptais bien le voir aussi souvent que je le souhaitais, avec ou sans sa permission ! Lors de nos rencontres, mon cousin et moi évitions de parler de sa mère, car le sujet le mettait visiblement mal à l'aise... Et, de mon côté, bien que je déplorais cette situation inconfortable, je ne tenais pas spécialement à m'étendre sur une personne que je n'appréciais guère.
Pourtant, il y a trois ans, nous avions connu le même drame. Mais la terrible tragédie, au lieu de resserrer nos liens familiaux, n'avait fait que les distendre davantage. Le père de Roan et le mien étaient frères. Tous deux avaient été tués dans un accident de voiture, causé par un chauffard ivre qui roulait à contresens. Ils revenaient d'un match de base-ball, tard dans la nuit. Mon oncle, voyant que mon père déprimait de plus en plus depuis le suicide de ma mère, avait eu l'idée de lui offrir des places pour aller encourager depuis le premier rang son équipe fétiche. Je les avais regardés partir depuis le seuil de la maison, un large sourire aux lèvres, en leur souhaitant une bonne soirée...
De mon côté, j'avais eu un long travail de deuil à faire, pour accepter que je ne reverrais plus mes parents, ni ne les serrerais plus dans mes bras. Après avoir perdu ma mère deux ans plus tôt, j'avais dû affronter à dix-neuf ans, seule et désemparée, cet autre immense chagrin, la mort brutale de mon père. Lui et moi étions devenus encore plus proches après le décès de ma mère. Nous adorions ce petit bout de femme à l'énergie communicative et parlions souvent d'elle. Elle était atteinte de la maladie d'Alzheimer et, chaque année, son état neuronal se dégradait. Un jour, elle n'avait plus supporté ses moments d'absences prolongées où elle ne nous reconnaissait plus. Elle s'était allongée un après-midi pour faire la sieste − après avoir pris des somnifères en cachette −, pour ne plus se réveiller. Notre amour inconditionnel pour elle n'avait pas suffi à la maintenir en vie...
Le fait de penser à mes parents me fit immanquablement monter les larmes aux yeux. Ils me manquaient tellement. Cependant, je me consolais en me disant qu'ils étaient heureux, enfin réunis au ciel. Ils s'étaient tant aimés ! Des souvenirs joyeux ou attendrissants me revinrent en mémoire. Je revoyais mon père taquiner ma mère ou l'embrasser avec passion dans la cuisine. En mari dévoué, il n'avait cessé de veiller à son bien-être, qu'elle soit saine d'esprit ou pendant sa maladie... Ma gorge se serra. J'essuyai le coin de mes yeux humides et reniflai discrètement en m'ébrouant, pour refouler cet instant d'intense émotion. Si je continuais ainsi, j'allais me transformer en une vraie fontaine !
Pense àautre chose.
[...]
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Extrait - Captive (Dark romance)
Romance« Je m'appelle Abel Arteaga. Je suis l'obscurité. Elle s'appelle Lya Marden. Elle illuminera ma vie... Dès que je l'ai vue, j'ai su qu'elle m'appartiendrait. Avec ses cheveux blonds et ses yeux bleus, elle est l'incarnation d'un ange. Et dans un bat...