LES FOURBERIES DU MONSTRE POIREAU

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Wijk - Lay - Peech ; deux tours chacune


J'suis pas raciste, mais... Enfin, 'voyez. J'ai commencé à m'rapprocher du FN quand j'ai rencontré cet homme chelou. Castiel. Il était blanc, cis-genre, hétéro, privilégié - et surtout, il était super-super rebelle. Je suis tombée amoureuse genre, immédiatement. Son parfum suave, sans épice, une espèce de savant mélange de pain et de rillettes de canard. Et ses cheveux rouges, et son teint de porcelaine, et l'hématome bleu qu'il avait dû s'faire au cours d'une rixe. Un vrai patriote ! Et moi, sa groupie. Je me suis mise à le suivre partout, à renifler les chaises sur lesquelles il s'asseyait... J'étais prête à collecter jusqu'à la moindre pierre, le moindre caillou qu'auraient foulé ses boots de skin-head. Je buvais même dans les canettes qu'il oubliait au self...
C'était mon obsession. Je ne vivais, je ne respirais, je n'expulsais que par lui. Il aurait été vain d'essayer de lui faire considérer un minimum la condition environnementale tant je prenais de plaisir à respirer les emballages de biscuits qu'il laissait dans l'herbe de la cour, en espérant qu'il aurait laissé ses lèvres s'y égarer.
Je connaissais par coeur son odeur. Je connaissais par coeur ses marques de biscuits préférés. Je pouvais le suivre à la trace, où qu'il aille. Tel un serial killer, j'espionnais ses moindres faits et gestes. Traquant, implacable et silencieuse même dans la nuit la plus noire, flairant ma proie. J'aurais eu tendance à dire que chasser était un loisir. Mais non, c'était plus que ça. J'avais cette rage de sang, ce besoin intense de tuer. C'était plus fort que moi. Avant de tuer mes semblables, je préférais largement rompre le cou d'un pauvre lapin, décapiter un cerf à coup de hache, sortir l'arbalète et tuer des dizaines d'oiseaux. J'avais besoin de ça.

Ma proie marcha lentement, discrètement. Peut-être se sentait-elle poursuivie, chassée ? Restait que mes plus bas instincts m'excitèrent au plus haut point. J'étais euphorique. Une fois si près, j'entendis son souffle. Son halètement. J'entendis son gémissement, ses pleurs étouffés. Aucun regret, ce soir. Aucun regret. La rage dans le corps, mon envie meurtrière abattit rapidement la cible. Le sang s'écoula, les feuilles épongeant le gâchis, prenant une teinte plus rouge que supposée, et laissant sans doute la dernière trace de vie de la proie que je venais de tuer.

Qu'avais-je fait ? Pourquoi ? Mon existence prit dès lors un tournant des plus étranges. Je pris le voile et, pour faire mesure, exigeai que l'on me fasse une tonsure et qu'on me coupe la langue. Je menai donc une vie nouvelle, cosmique, spiritique même - loin des crimes passionnels, du chaos et du sang versé. A la place, je me suis mise à suivre les papillons, à baigner mes délicats pieds dans le Gunge et à gargariser mes envies. Je devais tout à mon nouveau gourou, Lucy - une chèvre prise de foi qui s'était mise à coloniser les êtres humains. Oh, cela s'était fait vraiment doucement, à pas de loup - pardon, de chèvre. Subtilement, sans faire de bruit. Et en même temps qu'elle avait pris le pas vers une domination mondiale, elle avait également su dominer mon coeur palpitant.
Elle avait d'abord voulu me l'arracher de mes entrailles, j'avais su la convaincre de n'en rien faire, qu'il lui serait plus utile en battant pour elle. Alors, sachant reconnaître en mon regard celui d'une nouvelle dévote, elle m'avait accordé le droit de cheminer à ses côtés.
Bien sûr, au début elle n'était pas persuadée qu'il s'agissait d'une bonne idée, et nourrissait pour moi une méfiance insupportable. Je la fis taire en lui offrant le cadavre encore chaud de son ennemi juré.

Tout ce que j'avais fait, c'était de suivre mes instincts premiers et répondre à la justice demandée. Comme un déchet, je laissai retomber le cadavre à ses pieds, comme un vulgaire sac de patates qu'on ne souhaitait pas cuisiner. Ses yeux s'ouvrirent doucement lorsque sa tête percuta le sol, et dévisagea celle qui avait ordonnée sa mort. Je reculai un peu, pris de peur. De mon point de vue, je vis ses pupilles m'observer. Un frisson me prit. Le cadavre se releva peu à peu, se hissant lentement. Ses mains agrippèrent les chevilles de son ennemi juré, et sans grâce, mordit la pauvre femme à qui j'avais offert le cadavre. Je ne restai pas à cet endroit. Je laissai cet ennemie mourir dévorée par le mort-vivant. S'en suivit un hurlement que j'entendis, et pourtant, je ne fis qu'accélérer et fermer les yeux sur ce que j'y avais vécu.

À laisser aller un monstre... il arrive que ce monstre en crée d'autres.

Cadavres exquisWhere stories live. Discover now