Cadavres exquis

Grandeur et Décadence d'un artiste

PEECH - LUCY - WIJK ; quatre tours chacune

La nécromancie : qu'avait-elle de si dangereuse ? Après tout, être nécromancienne, c'était être en partie nécrophile : j'aimais les morts-vivants comme les gens aimaient les animaux. En fait, je ressusciterais simplement les gens avec qui j'avais de l'affection. Mais peut-être un jour, une partie de moi changerait. Après tout... il y a des choses qu'on ne pouvait s'empêcher de faire. Mais bon, vous me diriez... Quoi ? Une nécromancienne, ça existait ? Dans notre monde ? Oui, oui, avec tes voitures, ton téléphone cellulaire, tout ça existait encore et bien au-delà de tout ce que vous imaginiez.

C'était sans doute ce qui expliquait mon côté téméraire et impulsif. J'étais en quelque sorte fille de mort. Après tout, j'avais ce petit l'air louche qu'Ambre n'arrive pas à tolérer. J'empestais, disait-elle. Elle disait ça pas mal pour m'écœurer, mais entendons-nous, elle avait bien raison et je lui faisais bien savoir. Si Ambre avait su... elle ne m'aurait jamais traité de la même façon, et pourtant... Cette situation m'amusait. Le jour où elle aurait le courage d'aller dans un cimetière, je m'amuserais grandement à relever son grand-père et à sermonner sa vie de petite peste. Mais relever d'outre-tombe une personne de la lignée d'Ambre, c'était avouer que cette idiote avait une importance dans ma vie, et bien le fait que je ne l'aimais pas, je ne voulais néanmoins par lui faire croire que je pensais à elle dans mes plans les plus diaboliques.

Je me contentai donc de ressusciter un petit-fils caché de Mme Shermansky, qui je le pensais serait plus à même d'accomplir mes desseins. Lorsqu'il se réveilla, haletant, dans l'obscurité de ma cave, je le mis au courant de la mission qui serait la sienne : prendre le contrôle du monde en mon nom et ainsi me venger de toutes les ignominies qu'il m'avait infligées. Il écarquilla des yeux effarés devant l'ambition de la tâche, mais finit par se laisser persuader lorsque je le menaçai de déclarer son retour à sa revêche grand-mère.

Il n'était pas certain de réussir, cependant - et préféra mentir à son mécène pour exécuter, via quelques pirouettes scénaristiques d'une grande complexité, une mission des plus exotiques. En effet, le jeune homme nourrissait l'ambition secrète de devenir trader pour une grande firme d'autobus flamants, laquelle proposait à ses usagers des show IRL sur glace bien rémunérés, en noir et blanc. L'annonce ajoutait qu'avoir un faciès particulier, apprécier le cuir et le latex, savoir danser sur ses gonades et jongler avec les dramas étaient un réel plus.

Et bien, c'était l'annonce qui me seyait le plus : n'étais-je pas teintée de sarcasme et de moqueries ? Du cuir et du latex, c'était le même de mon fouet superpuissant à la Samisaka. Un coup et tchak ! Le fouet fendait l'air et déchirait comme un hymen percé l'espace. Je pouvais dire, c'était un talent particulier, et même si je niais, je pouvais très bien me décrire dans toutes ses circonstances.

En bref, j'envoyai tout de suite de ma candidature, je répondis à peu près rapidement, deux trois foulées de mes doigts, et le message était envoyé : « Vous recherchez une candidature extraordinaire, pleine d'élégance et de sarcasme, et bien vous vous n'y trompez pas. Voyez-vous, je ne fais pas juste jongler avec les dramas, je les incarne, je suis les dramas, et vous n'y croirez pas lorsque vous me verrez. » Hautaine, je ne pouvais que m'imaginer jouer ce rôle tant recherché. J'étais la femme parfaite : personne ne pouvait battre autant d'exceptionnalité, j'étais l'excellence même, et personne ne pouvait y contredire, ça allait de soi.

J'avais des yeux bleus comme le ciel, des cheveux blonds comme les blés, des lèvres violettes comme la violette... Eh oui, ainsi que l'a dit un sage de notre temps (Hvrri comprendra), être parfait c'est être mort, parce qu'on ne peut pas changer. Mais même parmi les morts, j'étais sans commune mesure avec le commun des mortels : j'étais sans conteste le plus beau cadavre de la morgue. La décomposition qui m'attendait n'y changerait rien.