Elle

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Elle est née le 28. Également date de sa mort.

Chaque jour elle se levait, consciente de l'infini au dessus de sa tête, consciente du semblant de terre sous ses pieds, consciente de l'inaccessibilité des côtés, elle était consciente, les autres étaient psychologiquement déjà mortes.

Elle ne vivait que pour procréer ces autres femmes qui mèneront la même activité héréditaire qu'elle. Dès le premier jour de sa vie elle a été élevé pour penser maternité, vivre maternité. Elle est contrôlée disaient certaines. Mais celles qui disaient cela ne sont plus là pour exposer leurs points de vue. Personne ne critique. Personne ne questionne. Personne ne se dresse. Personne. Surtout pas Elle. Si Elle avait été éduqué comme cela et pas autrement, il en était ainsi. Elle n'avait pas à chercher à comprendre. C'était comme ça. La vie était comme ça. La vie était belle.

Toute sa vie Elle était enceinte. Puis on lui prenait la fille qu'elle mettait au monde, et Elle ne la revoyait pas. Jamais. Elle n'avait pas d'âge, juste une date anniversaire où elle avait le droit de poser une unique question, à laquelle sera attribuée une réponse. Ou pas. Elle ne parlait pas non plus. Personne ne parle. Sauf pour sa question anniversaire. 31 mots maximum. 31 femmes perpétuellement enceinte. Pas une de plus. Pas une de moins. Elle était la 28 ème. Comme sa date anniversaire. Elle ne vit que pour procréer. Et elle ne vit que pour vénérer son nombre. Elle doit penser maternité. Elle doit penser 28. Elle doit penser création, procréation, respect et crainte.

Un jour, sa question avait été "Pourquoi tout cela?". Juste ça. Elle n'avait pas eu de réponse. Elle avait gâché 28 mots, une occasion de parler, une question. Personne ne gâche. Le gâchis est mal vu. Le gâchis est égoïste. Elle était égoïste. Mauvais point pour elle.

Tout le monde dépend du jour de sa naissance. C'est le jour ou nous commençons à vivre, mais Elle pas. Ce 28 a signé son CV. Son jour de naissance est le jour où elle a commencé son travail ; être éduqué sur un certain mode de pensée. Elle, elle n'éduquait pas. Ce n'était pas son travail. Elle, elle enfantais. Des filles. Pas de garçons. Elle n'avais pas le droit. Elle avait 6 enfants. 6 filles il semble. Elle ne serais jamais sortie de la salle d'accouchement si ça n'avait pas été uniquement des filles. Ses filles, qui enfanteront. Qui la remplaceront. L'une de ses fille n'avait pas pleuré à la naissance. Elle avait demandé pourquoi elle n'avait pas crié quand elle avait pu. Elle a articulé 17 mots. Elle a eu une réponse, une articulation simple de 5 mots.
Elle. N'. A. Pas. Respiré.
Juste 5 mots.
Choque. Elle a eu 5 enfants. Pas 6. Mais seulement 5. La 6ème n'a jamais existé.

Elle était repartie coite. Mais pas le même silence. Il était lourd, son silence. Angoissant. Elle ne connaissais pas sa fille, mais elle l'aimait. Elle les aimes toutes, ses filles. Tout le monde aime ses enfants, mais certain ne veulent pas le dire. Ou ne peuvent pas le dire. Ici personne ne le dit. Et personne ne dit rien.

Certains, ou certaines disaient. Ils ne disent plus maintenant. Ils se reposent. Ils ne sont pas vieux, mais il dorment. Ils se reposent de leur travail. D'un drôle de repos. Dans un drôle de lieu. Pour drôlement longtemps.

Elle se concentre sur ces objectifs. Avoir une fille au prochain accouchement. Pas d'échographie, elles ne servent à rien. Un garçon ? Tant pis pour la mère. Handicap ? Bouffon des rois. Fausse couche ? Tant pis pour l'enfant. Pas de prévision. À tout problème son responsable. Chaque responsable sera puni. Pas d'échographie donc pas de prévisions. Pas d'avortement non plus. Personne n'avorte. Surtout pas Elle. Le peuple l'a décidé il y a des années. L'avortement est un meurtre.

La ville était surpeuplée. Seule 31 femmes mettaient au monde des fille. Seule 31 femmes mettaient au monde des garçons. Si une autre femme le fait, elle sera puni. Les humains ne comprenaient que la punition. Il faut menacer pour se faire respecter.

La vie était belle. Elle donnait naissance à ses filles, vénérait son nombre, et lisait. Elle devait connaitre Le Livre par cœur. " Le Livre Ancestral ". Il faisait 10 000 pages, une encyclopédie parlant de tout. Elle n'avait pas d'âge, mais avait lu Le Livre Ancestral 41 fois. Cela remplaçait son âge et tenait lieu de point de repère pour sa maturité.

Mais un jour, Elle a commencé à se questionner sur sa condition.

Un jour elle a voulue parler.

Elle n'était plus à sa place, mais elle devait y rester. Personne ne se dresse. Elle s'est dressée. Elle a parlé. Ou plus exactement elle a reposé sa question : " Pourquoi tout cela ? " Elle n'avait toujours pas eu de réponse. Elle a insisté une fois. Deux fois. Trois fois, puis elle a tout dit.

- Depuis que je suis née je vis dans un monde remplis de tabou, où personne ne parle, où nous ne sommes plus que l'ombre de nous mêmes ! Je ne veux plus subir cela, rendez moi mes filles ! Rendez moi mes enfants ! Je veux les revoir ! Expliquez moi pourquoi je n'ai pas le droit de savoir ! Pourquoi cette vie répétitive et silencieuse ? Je veux des réponses ! Je veux être traité comme l'humaine, que dis-je, comme la femme que je suis ! Nous ne sommes pas les esclaves de la société !

Elle est née le 28. Également date de sa mort.

Métaphore filéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant