Elle marchait dans les rues enneigées de Salt Lake City. Les trottoirs s'étaient transformés en véritable parcours du combattant. Son labrador qui était devenu son seul et unique ami la guidait à chacun de ses pas. Elle rentra chez elle, portant ses baguettes de pain encore chaudes sous les bras. Devant eux, un des ces hommes d'affaires toujours pressés, et portable à la main en permanence. Il fonçait littéralement en leur direction, armé de son cellulaire ainsi que de sa mallette bourrée de paperasses en tout genre. Il n'avait pas plus de quarante ans et il paraissait comme un vrai trader avec son costume à prix exorbitant taillé sur mesure mais suffisamment moulant pour laisser entrevoir son torse parfaitement musclé; qui faisait tomber toute les femmes qui croisaient son regards et même quelque fois certaines filles peu farouches. Son allure rapide signifiait sans doute qu'il devait se rendre quelque part au plus vite ou qu'il devait être très en retard. Ils se rapprochèrent, l'homme était tellement obnubilé par sa conversation qu'il n'avait pas remarqué qu'elle était sur son chemin. Et inévitablement, ils se percutèrent. Tout deux laissant s'échapper de leurs mains leurs biens respectifs, ce qui déplu à l'homme d'affaires...
"C'est pas vrai! Vous ne pouvez pas regarder où vous allez?"
Il savait très bien qu'il n'était pas bien placé pour dire ce genre de chose, mais il préféra rejeter la faute sur la pauvre femme qui n'avait rien demandé. Elle restait là, totalement figée tel une statue. Sans savoir quoi faire, sa timidité l'empêchant de faire la moindre chose.
"Je... je suis désolée... excusez-moi.
OK mais ne pensez-pas que je vais ramassez votre pain, vous êtes manchot?"
Elle s’efforça de ne pas pleurer, serrant ses mains de toute ses forces. Elle avait l'habitude d'être triste à cause de son... état, et à chaque fois que ça arrivait, elle chantonnait le refrain de sa musique préférée "In your eyes"; et elle ne manqua pas de procéder à ce rituel même si elle savait qu'elle n'était pas seule.
"Let me see in your heart."
Elle resta toujours immobile devant l'homme qui fini de reprendre ses affaires. Elle ne put retenir ses larmes, il ne savait pas... personne ne savait... et elle voulait le crier sur tout les toits. Crier à quel point elle souffre. Mais jamais elle n'oserait car personne ne l'écouterait. Personne ne la connaissait... Après quelques secondes de dépit qu'elle avait pour elle-même, elle trouva la force de lui répondre.
"Je... je ne les vois pas..."
Elle était aveugle... c'est pour ça qu'elle se comportait ainsi, son sens de la vue n'existait même pas, et ce depuis sa naissance. Elle se retourna en pris aussitôt la fuite, la honte l'avait envahie... honte d'être aveugle... honte d'être elle-même... Son chien la suivie et prit les devants, décision qui reflétait son parfait dressage. Elle continuait de chantonner son refrain mais cette fois à haute voix.
"Let me hear your voice"
Elle voulait oublier ce moment, en fait, elle voulait tout oublier, absolument tout. Sa vie la dégoûtait, elle aurait préféré frapper cet homme avec sa canne et le laisser crever sur le bord du trottoir plutôt que de fuir comme une lâche. Elle était finalement rentrée dans son très modeste appartement, sans grande difficulté. Elle avait mémorisé les plus infimes obstacles qui jonchaient sa rue. Elle se laissa tomber dos au mur jusqu'à s'asseoir, et se mis à sangloter levant la tête vers le plafond. La femme chercha sa chienne agitant dans tout le sens sa main mais prenant soin de ne pas faire de gestes brusques. L'animal était toujours à côté d'elle, nuits et jours, il l'à comprenait, il sentait la souffrance ancré profondément dans le coeur de sa maîtresse. La chienne était aussi assise, elle posa le museau sur son bras, si elle avait été doté de la parole, elle lui aurait sûrement dit "je t'aime."
