La nuit règne au cœur des montagnes bleues, sur les flancs de la forêt dense, mais un peu à l'écart du bourg somnolant, il y a encore de la lumière à une fenêtre. Le vent tonne, il fait trembler le plancher et vaciller les pins, mais si on tend l'oreille, on peut percevoir un léger battement qui suit le rythme de la tempête. C'est juste une pulsation ténue, qui provient de cette unique chambre toujours éclairée, et si nous sommes précis, de la seule cage thoracique à des kilomètres à la ronde qui ne dort pas. Ailleurs, les corps frémissent lentement ensuivant la cadence du sommeil, mais ici, rien ne bouge.
Autour de ce cœur éveillé, il y a deux poumons, qui n'ont jamais respiré autre chose que l'air de la ville, plein de gaz d'échappement, chargé d'odeurs colorées de viande et de sueur. C'est ici, au creux de ces collines, qu'une nouvelle bouffée fraîche et pure les a envahit, c'était glaçant et tendre à la fois, un peu comme la fumée corsée de cette cigarette mal roulée goûtée il y a déjà quelques années.
Pour protéger ces organes fragiles, les os sont recouverts d'une peau pâle parsemée d'une multitude de grains de beauté bruns qui forment des constellations. Elle a les même que sa mère, la chevelure de Bérénice étendue dans le dos,ils remontent jusque dans sa nuque, comme pour guider les mains douces qui parcourent parfois son épiderme. Ses hanches ne sont pas bien larges, ses épaules non plus, de frêles clavicules, des muscles mal exploités, elle est souvent maladroite, ne maîtrise pas encore bien son instrument de vie. Ses long doigts sont tachés d'encre et de sang séchés, elle a les ongles courts, rongés d'une rage mal contenue, les phalanges bleuies par les coups et les paumes couvertes d'inscriptions ancestrales. Un toux aigre la secoue, tout son corps vacille, mais elle se relève en tapant brutalement sur le parquet d'un bruit sec, elle titube un peu sur ses deux pieds,reprend son souffle et son équilibre. La Lune brille indécise dans le ciel voilé de décembre. Une fois debout, elle s'étire, et soudain, se fige, tendue à l'extrême.
Deux fossettes asymétriques creusent ses joues, son visage est transformé par un signal précis et silencieux qu'elle seule perçoit, ses yeux brillent d'une lueur nouvelle. Ses lèvres fines s'allongent en un sourire de fièvre victorieuse et étincelante qui dit « vous avez voulu me faire taire, et vous avez échoué. Le temps est venu, vous allez payer vos offenses».
Elle attrape d'un geste leste un sac à dos en cuir, ouvre violemment la porte de l'unique placard de la chambre et attrape une boule de vêtements indistincts, ramasse sous son lit des bombes de couleurs et un couteau qu'elle glisse dans la poche intérieure de l'immense manteau d'homme beige qu'elle vient d'enfiler. Ses gestes se sont enchaînés en à peine quelques minutes, comme une évidence, comme si son monde s'était toujours préparé à cet instant précis. L'Instant de la fuite. Le temps de couler ses pieds dans des rangers défoncées, de claquer la porte et elle est déjà loin, les étoiles en couronne autour de ses cheveux voletants, l'asphalte parsemée de boue qui étouffe le claquement de ses semelles éculées.
Elle part.
-
Quelque part, à l'autre bout de la terre, un vieil homme sourit aussi. Il sait la Fille aux loups. Elle a seize ans mais elle vient de naître. Ignorante de tout. Porteuse du savoir infini de la nuit des temps. Il la sait sur les routes sinueuses de la colère, et il sait surtout que ce n'est qu'un début.Un enfant vient de s'éteindre. L'animal s'ébroue dans l'âme de la jeune fille. Il connaît le cœur des louves. Il sait que ce n'est que le début.
YOU ARE READING
La fille aux loups
General FictionJuste une histoire d'enfants terribles, d'âmes entremêlées, m'en voulez pas, c'est toujours un peu flou... J'ai la prétention d'dire que c'est d'la poésie en prose, pensez en c'que vous voulez