Il a le goût sucré de ces bonbons multicolores, de ces fruits défendus que l'on interdit aux enfants. Les yeux fermés à caresser son sourire avec le mien, à plonger ma langue contre la sienne, je me noie. La boule au ventre, le feu au cœur. Je passe ma main dans ses cheveux. Mes doigts au parfum de tabac froid se perdent dans cette jungle brune tandis que les siens, beaucoup plus féroces, écartent mon pantalon pour s'enfoncer dans une autre. Un gémissement se coince derrière un rictus incontrôlé. Il le remarque, s'en amuse autant qu'il s'en nourrit. Alors, sa langue avide se pose sur mon cou et il me repousse contre le mur gris où traînent des tuyaux sans logiques. Je m'agrippe à l'un d'eux. Fort. Mon froc tombe sur mes chevilles et je me tiens là, à demi-nu sous mon uniforme scolaire, à frémir sous les va-et-vient d'une poigne généreuse. Sa main me torture, me possède et cela me va. Il est à moi tout comme je suis à lui.
Mes soupirs rapides qu'il tente d'assourdir de baiser s'échouent sur son visage concentré. Il me fixe de ses yeux verts, détaille mes grimaces risibles, et me voit, au fond, pour ce que je suis : l'homme qui l'aime. Son mouvement s'arrête soudainement. Une lueur d'hésitation dans sa posture, dans cette longue seconde qui passe et savoure son suspense. Un sourire, encore, puis il s'agenouille et me prend en bouche. Je cache ma surprise derrière mes paupières fermées, derrière mes prunelles marron qui se lèvent aux cieux sous le joug du plaisir. Ma main sur son crâne, dans ses boucles, j'accompagne son mouvement malgré moi. Il se détourne, me dévisage. Que pense-t-il de cette scène, de ce « nous » coincé dans l'étroitesse d'esprit d'un lycée privé ? Aussi étroit, c'est vrai, que ces toilettes gâchant nos imaginations. Avec du recul, on le sait tous les deux, nous sommes idiots, risibles, inconscients de craquer ainsi face au désir. Mais, tandis qu'il se languit de ma jouissance, on s'en fiche. Ma main dans ses cheveux, à la base de sa nuque où persistent encore les souvenirs de mes lèvres, je m'accroche. Pour rester avec lui.
Tout cela avait commencé par un regard presque anodin. Presque étant le mot juste. Mon cœur avait raté un battement devant les fossettes enfantines que son sourire laissait sur son visage d'adolescent. J'ai fondu tout comme je le fais dorénavant chaque jour. Assis sur une chaise inconfortable à écouter les paroles creuses d'un professeur, je venais de tomber amoureux. Comme rien, comme dans la facilité excessive de ces films que je hais. Mais c'est pourtant vrai. Il m'a suffi de ce regard, plein de joie, de provocation et de tendresse pour les autres. J'ai plongé en apnée dans l'absinthe de ses yeux. Sans peur de l'ivresse et de la gueule de bois.
Enfants de nos siècles, amoureux de l'interdit, le jour et la nuit étaient nos deux facettes. Le jour, dans ce lycée pieux, on jouait la comédie risible d'une amitié platonique, bêtement virile. La nuit, dans nos pieux cette fois, on s'écrivait du crépuscule à l'aube. On discutait de tout, de rien. De nous. Il me racontait son chez lui, de ses parents trop présents pendant que moi, en caleçon dans mon lit, je parlais des miens beaucoup trop absents. Du poids du regard de mon père, de sa déception et son regret de m'avoir fait jusqu'aux rides de ma mère concernant mon cas. Ash possédait une théorie : les œuvres culturelles que nous aimons — ou non — nous définissent. Alors on débattait film, déclamait romans, musique. Tout plutôt que le silence de nos chambres et de nos foyers. Le lendemain, les yeux cernés par la complicité de cette lutte insomniaque pour rester dans nos bulles nocturnes, pour repousser cette autre journée composée de parents, de croix, de société... de fausse amitié ; on se distançait.
Des rumeurs circulent sur nous. Et ce malgré tous les efforts. Mais, on se trahit toujours, poussé par le désir, le besoin irrépressible que j'ai d'être contre lui. Souvent, ce ne sont que des maladresss : la hâte d'une main glissant sur une cuisse en étude pendant qu'il m'explique des choses que je feins d'ignorer ; un regard un peu trop appuyé sur ses lèvres. Heureusement, ils ne voient pas les vibrations dans le creux de mon ventre ni entendent les questions qui se rejouent, encore et encore dans mon esprit. Dois-je l'embrasser ? Le pousser contre le mur ?
Le premier baiser fut calamiteux. Un mélange savant de gaucherie , d'impatience et de joie immense. Pourtant, ce souvenir est l'un de mes plus chers. Le lycée se trouve tout à côté d'un petit bois, une sorte de forêt minuscule composée d'arbres maigres et de fourmilières de mégots. C'est un lieu culte : une échappatoire verte au milieu des murs d'un gris industriel. Loin des croix, des livres saints, des matières dont j'ignore l'intérêt. Cet endroit est également, aux bonnes heures de la journée, désert de toute vie et surtout d'eux. Eux, comme on les nomme, c'est les autres. Ceux qui, s'ils avaient eu connaissance de notre amour, nous auraient moqués. Voire pire encore. Eux, ces gamins qui, par peur de paraître faibles ou d'être considérés comme une « femellette », soulèvent le menton galbent les muscles dans des concours pleins de virilité et de violence. Eux, qui nous dévisagent parfois... Ils n'étaient pas là. L'air semblait plus léger, libéré. Comme nous. Alors, pour la première fois, on marchait main dans la main. Par défi de ce monde. L'adrénaline de la joie vrombissait dans nos veines, on en était ivres. Rien dans le paysage ne nous intéressait. Pas le bourdonnement des insectes, ni même les feuillages : il n'y avait que lui et moi. Le reste était flou. Ce n'était qu'un décor pour le feu qui nous habitait.
Assis sur la dureté d'une souche triste, on bégayait tous les deux des mots doux. Épaules contre épaules, les yeux jetés dans le même horizon bouché de feuilles entremêlées et de rayons de soleil timides, on perdait du temps à essayer d'en gagner. Nos lèvres se cherchèrent, se trouvèrent. Il avait un goût sucré. Le même qu'il a encore aujourd'hui. Dans les fourrés autour de nous, un bruit. On s'est écarté, apeuré. Pour mieux replonger ensuite.Cette nuit-là, après ce premier baiser, comme toutes celles qui suivirent, la tonalité de nos messages se fit plus directe. Teintée de cette sincérité, de cette violence naturelle que le désir porte en lui. La politesse gênée et douce se transforma, peu à peu, dans cette vulgarité maîtrisée qui sonnait comme des promesses. Mes insomnies, les siennes aussi, avaient changé de cause. La main sur mon portable, l'autre sur nos membres impatients, on se répondait, se défiait, se chauffait. Son corps sur mon écran, plein d'envie et de fougue, d'attente pour le mien, me fit jouir. Et on recommença. Encore et encore. Nourrir son imagination en repoussant la frustration. Je bande souvent en pensant à lui, à ces choses que nos cœurs vomissant d'hormones et de conquête nous font tapoter sur nos écrans. Parfois, j'ignore pourquoi, mais je m'en veux. J'ai peur, au fond, de ces rapports écrits, de ces images qui traînent dans nos crânes et qui resteront quand la réalité viendra peindre sur la toile de nos fictions.
Les ongles enfoncés dans son cuir chevelu, les yeux cachés sous mes paupières, grimace suante et souriante de plaisir, je lui murmure de continuer. De jouer avec moi autant qu'il en a envie, de torturer ce bout de chair de la même manière qu'il le fait avec mon cœur. Je vais jouir tout comme je voudrais qu'il vienne. Que l'on quitte cette terre grisâtre propulsé par notre amour et nos soubresauts. Un gémissement s'échappe malgré moi. Risible sans doute, sincère surtout. Le plaisir me submerge, éphémère, mais éclatant. Un éclair dans l'obscurité de nos vies: la lueur que j'entrevois lorsqu'il me regarde.
Il se relève, s'essuie d'un revers de manche ses lèvres poisseuses de salive et d'altruisme. Un ricanement soulève ses épaules et il pose son front contre le mien.
– Je t'aime J.
– Je t'aime aussi, Ash.
Nos bouches se rapprochent, nos cœurs se touchent. Ces toilettes sont trop petits pour notre amour. Cette foutue ville, cette foutue terre, ce monde entier également. Bordel, mon âme déborde, se noie, suffoque de ces sentiments. Nos lèvres, ensemble.
Puis, soudain, dans le tonnerre de la fatalité, un fracas perce la bulle que nous nous étions créée. La porte qui s'ouvre... La silhouette sévère, coincée dans un costume trois pièces et une foi zélée, s'arrête un temps. Les yeux sombres s'attardent sur la scène dans une lenteur douloureuse, emplie de mépris et de dégoût. Sur le torse de l'homme, près de sa cravate écarlate : une croix. Son regard détaille nos corps enlacés, mon pantalon sur mes chevilles, sur mon sexe larmoyant d'avoir connu l'extase.
– Que Dieu vous vienne en aide.
A cet instant, mon cœur manque un battement. Pendant ces quelques secondes, je comprend que mon monde vient de mourir.
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Dieu n'apprécie pas les gens qui s'aiment
Teen Fiction"Lui et moi. C'est aussi clair que ses yeux verts. Pourtant ce monde ne le voit pas. Lui qui a disparu. Moi qui part à sa recherche. Même si j'ignore où je mets les pieds, je sais simplement où va mon cœur." Sur une ile paradisiaque, les Hommes ne p...