Je suis assis là, le regard vide, plongé dans un ennui presque palpable. Le Mielles est devenu pour moi une toile grise, sans saveur. Chaque jour ressemble au précédent, un écho infini de corps et d'âmes que l'on met aux enchères. Le vent s'infiltre par les larges fenêtres, balayait le hall de ses courants froids, mais cela ne m'affecte plus. Ce lieu est devenu ma prison silencieuse. Chaque nouvelle cargaison d'esclaves défile devant moi, leurs visages vides, résignés, et je ne ressens rien. Pas de colère, pas de tristesse. Rien. Seulement cette lassitude qui me ronge depuis quatre ans, depuis que je suis devenu celui qui observe, celui qui valide les horreurs.Aucune de ces vies ne m'intéresse. Elles passent, et je les laisse passer. Non pas qu'elles ne soient pas belles, ni marquées par l'horreur de leur situation. Mais rien n'a de sens, rien n'a d'importance depuis Elle .
Je ne cesse de la revoir, cette silhouette sous la pluie, ce visage baigné de larmes. Ses cheveux rouges collaient à son front, dégoulinant d'eau, et ses yeux... Ces yeux verts, pleins d'une tristesse que je n'ai jamais su expliquer. Je ne me souviens plus vraiment de son visage, il s'efface lentement dans ma mémoire, comme une photo laissée trop longtemps au soleil. Ses traits deviennent flous, son sourire, si elle en a eu un, est une illusion à présent. Mais ses yeux... eux, ils sont restés gravés en moi, brillants comme deux émeraudes ternies par la douleur.
Je revois la scène encore et encore, ce moment où nos regards se sont croisés, où tout aurait pu changer si elle n'avait pas fui. Pourquoi s'est-elle enfuie ce jour-là ? Est-ce moi qui lui ai fait peur ? À chaque instant, je me demande ce qu'elle est devenue. Est-elle heureuse ? A-t-elle quelqu'un ? Cette question me hante, plus que tout le reste. Parce qu'ici, au milieu de tout ce chaos, c'est elle qui me manque, elle qui m'obsède.
Le Mielles, cet antre de l'indifférence, un lieu où les trésors du monde entier sont rassemblés, mais aussi des êtres humains, arrachés à leur vie pour être vendus au plus offrant. Des objets précieux ou des personnes, il n'y a plus de distinction ici. Des hommes, des femmes, des enfants, tout se chiffre, tout a un prix. Aujourd'hui encore, un nouvel arrivage. La salle est pleine, les enchères vont commencer. Le lourd rideau de velours cramoisi est tiré pour révéler la scène.
Tout ici se fait dans l'anonymat. Les enchères sont un théâtre macabre, et chaque spectateur, chaque acheteur, dissimule son visage sous un masque richement décoré. Moi, même au sommet de cette pyramide de cruauté, je ne fais pas exception. Un masque d'ivoire couvre mes traits, impassible, froid, comme moi. Comme je le suis devenu. Je ne participe jamais aux enchères, je n'ai jamais acheté personne. Mais je suis là, à chaque fois, observateur muet, témoin d'un monde que je continue de cautionner, simplement par ma présence.
Le bruit de la salle commence à s'élever, des murmures impatients, puis le silence tombe d'un coup lorsque l'homme en charge des enchères fait son entrée. Il porte un masque doré, brillant sous les chandeliers suspendus, et son pas est lent, solennel. Il monte sur l'estrade, s'arrêtant au centre avec une posture calculée, imposante. D'un geste, il invite le public à se préparer.
— Mesdames, messieurs, bienvenue à cette nouvelle session d'enchères au Mielles. Aujourd'hui, nous vous proposons des spécimens rares, venus des contrées lointaines. Tous sont en excellente condition, prêts pour le travail, le service, ou toute autre tâche que vous jugerez bon de leur confier.
Sa voix résonne dans la salle, posée, froide. Il n'y a aucune émotion dans son ton, simplement un marchand vendant sa marchandise. Derrière lui, des silhouettes se dessinent, des hommes et des femmes, debout en rang, les poignets liés, des ombres que l'on déplace et expose. La lumière tamisée leur donne un air presque irréel, comme des statues prêtes à être manipulées.
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THE MIELLES
RomanceJe l'ai retrouvée au marché noir, cet endroit où les âmes s'échangent dans l'ombre. Ici, les vies se vendent, les destins se brisent, et pourtant, je suis de ceux qui participent à cette noirceur. Mais je ne peux pas la laisser entre ces mains cruel...