le noir sur ma peau ça ne va pas,
ma pâleur semble floue et face au miroir j'observe mes cheveux tomber sur mes lèvres, je froisse les clés tintant entre mes paumes.
je repense parfois à ce que tu me disais.
j'ai dans la tête listes de mots interminables, qui roulent d'un côté à l'autre de mon crâne, je sens leur trace rebondir lentement entre les murs de mes sens. ça fait du bruit.
c'est l'hiver les fenêtres se ferment et le silence recouvre peu à peu mon corps, je sens sa dentelle presser ma peau et ponctuer mes mains de morsures lentes, calculées.Hier l'homme à la Gare m'a regardée du haut de son grand corps, ses yeux jetés depuis le col de son manteau. Le vent battait à mes tempes, je détaillais la fumée de sa cigarette dansante lascivement, engourdie dans les trois degrés de janvier.
Temps suspendu entre deux inspirations, la valse des regards s'enclenche peu à peu, mécanismes lents, rouages d'humains, nos yeux comme deux mains qui se perdent, j'inspire et mes yeux s'évaporent dans la nuit.
Les siens, noirs, emmêlés à ses cils, fixent le soleil absent, je sens qu'il veut le deviner, l'horizon est dissout et lui fixe le noir, ce noir comme gorgé d'encre, lui fixe droit, fort, loin.
Il avait fait cliquer son briquet, plusieurs fois, nerveusement, entre ses grands doigts abîmés.
Deux trois étincelles tranchaient alors l'épaisse nuit dans laquelle nos corps s'engouffraient, se fondaient entre nuit et jour, lune et soleil. Mes paupières comme deux clôtures de sécurité, barrières du monde, si je ferme les yeux l'été m'engloutira.Je sentais une tension régner autour de l'air qu'il inspirait, il le nourrissait de lui. S'il souriait à travers son souffle, je ne le saurais jamais, le nuage opaque de fumée et de souffles masquait ses lèvres, l'angle de sa mâchoire.
Dans mes oreilles les notes enflaient peu à peu, je sentais les voix trembler contre ma gorge, les mots entrer lentement dans mes veines, se lier à mon sang. Son regard se détachait brusquement parfois, du noir, pour se braquer sur les passagers transis de froid. Je me ruais des yeux sur son visage, avide de ce que seules les heures fades savent rendre grandiose. Quelques regards échappés, tendus comme un pistolet envers l'autre, griffés de pudeur.
Contre les épaules mon sac pesait, les livres remplissant la toile, poids des mots, je sentais leur fourmillements agiter ma peau.
Un flash a surgi d'un lampadaire, enlacé à un mur, enduit son visage d'horreur, pour quelques secondes. Là, le temps glissait entre mes doigts, grains de sable lentement comptés.
J'ai toujours aimé regarder les hommes fumer. Je laisse doucement la fumée s'immiscer entre les boucles de mes cheveux, slalomante, sinueuse, le danger dilate alors mes pupilles, qui, brusques, explosent de noir, tout contre mes iris. Souvent, l'odeur me rassure un peu, couvre celle de la pluie, du béton, de l'attente.Les Gares sont des carrefours humains. Grouillantes ou désertes, elles s'agitent de peaux, de noms, silhouettes, classes, haines, amours.
L'idée qu'un point fixe épingle tant de prénoms, de silences, de foules denses et furieuses, m'apparaît à chaque fois comme immense, l'instant dépassant l'unique, des âmes qui plus jamais ne croiseront le même regard, le même souffle.Un léger sourire éclot sur mes lèvres, mes mains adolescentes tout à coup me semblent moins pâles, glacées.
Silence sur silences les minutes s'entassent.
Mon train arrive, soupirant et grinçant dans la nuit, ses deux phares trouent avidement les ténèbres. Les rails humides hurlent sous les poids des wagons, je tremble, peut être, mon coeur incertain, serrer les dents, laisser le bruit envahir mes tempes, calmer les orages.
Immobile, les portes s'ouvrent, doigts serrées sur ma valise, les clés entre les lèvres, j'élance mon corps dans le wagon comme dans le vide, le sol me paraît mou, un pas après l'autre je tangue entre les sièges, la foule entoure peu à peu mes côtes de ses bras tièdes, je slalome entre les corps, mes mains frôlent d'autres ombres, je sens ses caresses me déshabiller du froid couvrant ma peau, mon corps rase les murs
La foule, partout, par goulées lentes, successives, la foule qui emmêle mon souffle aux autres, tarit l'identité parmi la multitude, les sièges ponctuants les allées interminables, la chaleur du train m'étourdit, je serre encore entre les murs de ma tête le visage de l'homme, la braise lente dans la nuit, l'oeil borgne des vices, seul, baignant dans le sang de son ombre, je sens mon corps inspirer,
je, tourne, la, tête, et
L'homme
disparaît.