Chapitre 5

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Chapitre 5

On partit à la recherche de Keimi, suivant des tâches de sang sur le sentier, après avoir recouvert le corps de Liz d'un duvet, faite de draps. Je lui rendait un dernier hommage, une dernière pensée, un dernier regard, et partit.

Pour changer, personne ne parlait. Seul Sarah vint m'accoster. Elle avait des yeux gonflés et d'énormes cernes. Je savais que ces évènements étaient en train de l'anéantir, même si elle ne voulait pas le montrer, même si elle ne nous connaissait pas vraiment.

"Ian ... Dis-moi le vérité.

- Oui ?

- On va s'en sortir ?"

D'habitude, j'aurai répondu oui. J'aurai pu lui répondre que tout allait bien se passer, qu'on allait sortir de cette maudite forêt, que tout allait se terminer. Mais je commençais vraiment à en douter. En réalité, je trouvais nos chances plutôt minces. Nous n'étions pas dans la petite forêt de campagne dont on fait le tour en une bonne journée de marche, non. Nous étions dans un gigantesque domaine naturel. Lacs, falaises, collines. On trouvait de tout dans le coin. Vous n'aviez pas de carte, de boussole, vous étiez dans le pétrin.

"Je te garantis rien, je vais faire de mon mieux. On va faire de notre mieux."

***

"Là-bas !"

Keimi. On la trouva après une vingtaine de minutes de marche. Elle était vivante, dieu merci, mais dans un sale état. Son ventre était surtout touché, griffé de toutes parts. Elle ne saignait pas abondamment comme les autres, mais si on attendait elle allait y passer.

"Qu'est-il arrivé ? Qui est-ce ?"

Keimi tenta de parler mais du sang sortit de sa bouche. On l'adossa contre un arbre et finit par en cracher une bonne quantité.

"Elle doit faire une hémorragie interne, suggéra Sarah. Si on l'emmène pas vite fais à l'hôpital, elle risque d'y passer."

Keimi m'attrapa le bras comme pour me dire quelque chose. Mais son regard n'était pas un regard de pitié, de compassion, d'aide ou d'autre chose. Non, j'avais l'impression d'y lire de la colère et de la fureur.

"On va s'en sortir, on va s'occuper de toi."

Elle rentra ses ongles dans ma peau, comme pour me faire du mal.

"Eh !"

Elle recracha encore plus de sang.

"Ian ... Je crois que c'est foutu ..."

Keimi la regarda avant d'hocher la tête. Elle tendit le bras et pointa le sentier.

"Tu veux qu'on parte, c'est ça ?"

Nouveau hochement de tête. Pour respecter ses volontés, de mourir seule dans le calme, on décida de la laisser, lui adressant un dernier regard, lui laissant son duvet à ses côtés pour la tenir au chaud.

J'étais encore perturbé de sa réaction. Pourquoi avait-elle l'air de m'en vouloir ? Je je savais plus quoi penser, je tenais tellement à elle ... Mais pour moi, elle n'était pas encore morte. On pouvait sortir d'ici à temps et envoyer une ambulance. Il fallait juste qu'elle tienne le coup.

***

On déplia les tentes un peu plus loin. Jake dormait avec moi. J'appréciais beaucoup de gars. Il était sympa, drôle et attentionné. Il veillait à ce que je dorme bien et j'en était plutôt flatté. Il a toujours su faire passer les autres avant lui-même, une qualité rarissime ces derniers temps. Kyle dormait avec Sarah. On ne pouvait pas dire que les deux étaient des amis mais ils s'entendaient bien, et préféraient dormir à deux plutôt que seul.

Pour une fois, je m'endormis tôt.

***

Pourquoi je me lève toujours en dernier ? Toujours cette impression de louper un truc, de réduire la journée de plusieurs heures. Dehors, ils étaient tous assis sur par terre autour du petit feu où le déjeuner avait chauffé. Du cacao et quelques biscuits secs. Enfin, quand je dis "tous", quelqu'un manquait à l'appel, comme toujours. Toujours cette inquiétude quand quelqu'un est absent.

"Dites-moi qu'il est partit pisser, s'il vous plaît."

Sarah et Jake me regardèrent d'un air grave, comme pour dire "désolé".

"Eh merde ..."

Kyle était mort à son tour. J'en avais marre, ça ne me faisais plus rien. J'avais l'impression d'être un monstre, à ne plus rien ressentir. Mais c'était la vérité. Comme une habitude, de voir ou d'apprendre qu'un de ses amis était mort. Proche ou pas, c'est sensé faire un truc. Ce stress, ce vide, ce désespoir, cette tristesse. Mais là, non. Rien.

"Jake l'a recouvert et l'a déposé plus loin. Si tu veux aller le voir. "

Sarah n'avait plus ses cernes et ses yeux plus clairs. Elle devait me ressembler au fond. Jake aussi, ne ressentait plus rien. Nous n'étions plus que 3. On approchait de la fin. Allions-nous tous mourir ? Je n'en savais rien. Mais nous allions devoir marcher le plus longtemps possible, tout droit, pour sortir d'ici.

"Eh, vous, vous faites quoi ici ? C'est une propriété privée !"

On se regarda, comme si on venait de voir un sapin de Noël recouvert de cadeaux. On semblait ne pas y croire, mais si, c'était bien la voix d'un homme, un autre homme. Et pas n'importe lequel. Un officier de police.

SomnambuleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant