« - Ne rentre pas trop tard !, m'ordonne ma mère,
- Mais nan, t'inquiète pas ! »
C'est un peu loin mais je connais le chemin par cœur. Je l'empruntai avant, pour aller en cours. Je n'y vais plus. Je ne peux plus y aller. C'est cette ambiance, ces filles avec leurs rires faux et ces garçons dont les seuls mots qui sortaient de leurs bouches étaient des insultes. J'avais quelques bons amis. Mais comme rien ne dure, ils sont partis. Pas au sens propre, non. Je veux dire que, certains amis, deviennent vite des inconnus alors que vous pensiez tout savoir d'eux.
Revenons à ce pont. Vous avez déjà eu le sentiment que votre vie ne serai pas la même sans un endroit précis. Que, à cet endroit vous avez vécu pas mal de choses, vous avez passé beaucoup de temps et que donc il est quasiment indissociable de votre vie ? Moi si justement, avec ce pont. Ce n'est pas un pont impressionnant il est en granit, et surmonte un chemin de fer. Rien d'extraordinaire.
Quand j'étais petite, ma mère avait l'habitude de passer par ici avec moi pour aller à l'air de jeux. Je ne sais pas pourquoi mais j'aimais ces moments avec elle. Elle me parlait de tout, me racontait des histoires. Pour être honnête je n'aimais pas tellement le parc en lui-même : j'aimais le chemin. Sa main rassurante serrant la mienne, le bruit de nos pas sur les cailloux, l'odeur du pollen à plein nez, le gout des pastilles de menthe et les rayons du soleil dans les yeux. Tout en ces moments était parfait.
Le bruit strident des rails me tira de ma rêverie. J'y suis, je regarde ma montre ; 16 : 40.
Sur ce pont j'ai eu mon premier baisé, ma première vraie dispute, mon premier chagrin d'amour...J'ai même fugué jusqu'ici.
Cette nuit-là, il faisait noir, vraiment noir. En un sens ça me rassurait. C'était l'hiver. Je ne savais pas exactement pourquoi j'étais partie. Peut-être à cause de la gifle, peut-être à cause des cris ou encore à cause des pleurs. En tout cas les cas j'étais là respirant les effluves de la nuit. Un chien aboya, cette ambiance me rassurait. C'est bizarre à dire mais je m'en fichai pas mal des conséquences. Quoi qu'il en soit mon père me retrouva et me hurla de revenir à la maison.
Je pose mes mains sur la rambarde, m'appuie dessus pour m'y mettre à genoux. 16 : 43.
Mon cœur commence à battre la chamade. J'ai peur. Le vent siffle dans mes oreilles. Le soleil a disparu, a sa place, un ciel gris, presque noir. Je me relève. Debout sur la rambarde, j'admire la vue et prends une grande inspiration. 16 :44
Le vent emmêle mes cheveux et fait frissonner ma peau. 16 :45
Le train entre en gare, je le regarde passer pour la dernière fois avant de sauter dans le vide.
Parfois, les ponts s'écroulent.