CA TOURNE MAL

Mon cœur bat vite, j'ai les mains moites. Je ne cesse de reporter le moment où je vais devoir leur dire. Le trajet pour m'y rendre est de plus en plus long, le stress de plus en plus grand. Je ne sais même pas pourquoi je persiste à venir à la Redbox tous les matins, je n'y fais rien. Je ne devrais peut-être pas finalement. J'essais de faire un tour sur les réseaux sociaux pour ne plus y penser. Un post me rappelle à l'ordre: "37 jours depuis ta dernière vidéo @JoycaOff, que se passe-t-il ?"

Toujours les mêmes questions depuis plus d'un mois, à me demander sans arrêt ce que je fout et pourquoi je fais plus de vidéos.

C'est aujourd'hui. Je sais pas pourquoi j'ai choisis ce jour en particulier, mais il en fallait un. Je n'ai rien oublié, je suis prêt. Je crois. Et si ça se passait pas comme prévu, s'ils réagissent mal comment je vais m'en sortir ? J'ai pas le temps pour ces questions, je me suis repassé la scène une bonne dizaine de fois dans ma tête, ça va le faire. Je me rend à l'openspace. Il n'y sont pas, ça commence mal. Je vérifie les studio un par un, personne non plus. Il me reste celui de Théo mais si tous les autres sont vides, j'ai pas beaucoup d'espoirs. Pourtant, juste avant d'ouvrir la porte je les entends.

D'abord la voix de Maxime "j'sais pas les gars, ça fait plus d'un mois qu'il n'a rien fait, aucune vidéo, aucun son".

Puis celle de Val "L'autre jour je lui ai proposé de refaire une vidéo Tricks Challenge, il m'a regardé sans rien dire".

Je veux pas en entendre d'avantage. Je décide d'entrer. Les voix se taisent et les yeux me regardent. A partir de maintenant il n'y a aucun retour en arrière possible.

- Vous avez le droit de savoir ce qu'il se passe et c'est pas facile à dire alors... Je démarre un quart-d'heure révélation.

Quand quelqu'un à quelque chose à annoncer mais que c'est délicat, gênant ou autre on a mis en place le quart-d'heure révélation. La personne qui le déclenche doit faire une révélation et chacune des personnes présente doit révéler à son tour une chose proportionnelle à la première nouvelle. Le plus proportionnel possible. Ce quart d'heure est applicable pour n'importe quelle situation et permet de mettre tout le monde dans le même panier, comme une sorte de soutien.

Et tout repose sur ça.

- J'vais pas passer par quatre chemins. Je crois que je suis gay, finis-je par dire.

Les yeux qui me fixaient s'arrondissent, l'air choqué. J'attends qu'ils veuillent bien prendre part au quart d'heure. S'ils le font pas c'est retour à la case départ. Valentin ouvre la bouche puis se ravise. C'était trop gros. Ils sont trop choqués pour laisser passer ça, c'est sûr. Val se penche pour prendre son sac. Il va se barrer c'est certain. Merde.

- Il y a moi aussi une chose dont je n'vous ai pas parlé.

Il sort des aiguilles aussi grosses que mes mollets avec... Du fil?

- Je tricote, annonça-t-il avec un petit rire.

Tous les yeux se tournent vers lui toujours aussi rond, les miens aussi.

- What ? demande Valentin.

Sans rien dire de plus, il s'assoit sur une chaise et se met à faire tourner ses aiguilles avec le fil autour. Un début de quelque chose pend des aiguilles.

- J'ai terminé des chaussettes la semaine dernière et là j'commence un pull pour l'hiver prochain.

Il ne s'arrête plus, les aiguilles bougent de plus en plus vite et ça forme vraiment quelque chose. Tout se déroule à merveille. C'est le tour de Théo.