Elle était là, assise dans l'obscurité, seulement éclairée par une lune, fidèlement perchée entre deux silhouettes de montages. Chaque nuit, elle imaginait que ces montagnes révéleraient, au lever du jour, une neige scintillante et des sommets fièrement élevés dans le ciel. A la place, dès l'aube, elle apercevrait leur vrai visage; des accumulations de déchets qui ne disparaîtraient jamais. Et cette rivière imaginée, passant par les beaux monts, laisseraient bientôt place à un fleuve dont l'eau sale serait habillée de débris et de lueurs multicolores dessinées par l'essence des voitures, l'huile des moteurs et le pétrole. Elle pensait à ces enfants qui, aux premières lueurs du jour, viendraient se laver et jouer entre les épaves de ferraille. Elle songeait à ces femmes, si pauvrement vêtues, qui tenteraient de laver leur linge ou de trouver un semblant de nourriture qui aurait été jetée là parmi les ramas, afin de nourrir leurs enfants... Elle évitait de penser à ces hommes qui, se sentant supérieurs de part leurs origines ou leurs classes sociales si aisées, se permettraient de surgir de leur monde et de déambuler dans les carrefours et les rues du bidonville, de se défouler sur les femmes ou tabasser des enfants, pour se défouler de leur mauvaise journée ou de leur haine personnelle. Ces gens qui se permettraient de tuer et d'écraser, mais qui étaient trop lâches pour s'attaquer à plus fort qu'eux. Quoi que plus fort qu'eux? Elle doutait que cela puisse exister... Devrait-elle se soumettre toute sa vie à ne rien connaître de monde extérieur? Devrait-elle se soumettre à la loi du plus fort au prix que cela lui en coûterait? Elle qui n'avait rien. Qu'une mère malade, une petite soeur de un an et la tombe vide d'un père exécuté. Telle était la vie que mènerait Nehal qui, du haut de ses neuf ans, avait déjà un avenir si sombre tracé devant elle.
Dépassée par toutes ces idées noires, elle se leva, puis se dirigea vers la maison en tôle ondulée bâtie par les mains de son père avant sa mort. La brise giflait ses joues et faisaient voler ses cheveux. Elle rêvait d'un monde meilleur, sans haine ni chagrin, sans répulsion ni peine, où tout ne serait que bienveillance et amour. Elle arriva. Dans la chambre commune, elle embrassa sa mère, fiévreuse, sur le front. Celle-ci dormait d'un sommeil agité, allongée dans un lit humide avec un vieux tapis en guise de couverture.
Elle se planta devant un miroir rouillé, abîmé par le temps, aux bords tranchants et à la vitre brisée. Elle s'observa, ses bras le long du corps, seulement habillée d'un tee-shirt qui autrefois fût rose, et qui désormais devait probablement plus ressembler à un chiffon délavé et troué. Quant à son pantalon, elle n'en possédait qu'un, un bas trop large auquel elle faisait des ourlets pour ne pas se prendre les pieds dedans, et qu'elle ajustait à sa taille avec la corde d'un filet de pêche en guise de ceinture. Ses cheveux étaient noirs, on ne saurait dire si cette couleur venait de la crasse accumulée ou de la couleur indienne typiquement brune. Mais ils étaient si sales, si emmêlés, que, honteuse, elle baissa le regard vers ses pieds nus, et se mordit les lèvres pour ne pas pleurer. Quant à sa soeur, elle se tenait assise dans un berceau de fortune (un demi bidon de plastique bleu). Elle fixait Nehal de ses grands yeux noirs. Son regard était pareil à celui d'un faucon, d'un brun profond qui retraçait déjà son histoire. Le bébé se mit à sourire en s'agitant dans ses draps, celle-ci la prit dans ses bras et s'assit sur le bord du lit, qu'elle partageait également avec sa mère. Elle aurait tant aimé que ce bébé qu'elle tenait contre son torse garda cette naïveté de l'enfance, mais elle savait qu'elle ne pourrait pas éternellement la protéger des horreurs de la réalité. Alors pour l'instant elle se contenta de lui chanter une berceuse que sa mère autrefois lui chantait, tout en la berçant.
"You are my sunshine, my only sunshine,
You make me happy when skies are gray,You'll never know dear how much I love you,
Please don't take my sunshine away"
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Nehal
Non-FictionElle avait un nom, et on l'a remplacé. Elle avait un talent, on le lui a volé. Elle avait une innocence, et on l'a consommée. Elle avait une vie, on la lui a détruite. Elle avait une histoire, mais pas de quoi tourner les pages, Elle avait un de...