OFF

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J'ouvris lentement mes paupières comme je l'avais fait la première fois en arrivant dans ce monde. Cette fois, ce fut une paire d'yeux bleus chaleureuse, presque railleuse, qui m'accueillit. Et j'aperçu finalement les traits du visage de la personne qui m'avait tant fasciné. Il me sourit en me tendant une main. J'avais en effet atterri par terre. Je m'empressai de la saisir.

« Si tu avais vu la tête que tu as fait ! », me dirent ses yeux et son sourire moqueurs.

« Désolé de t'avoir surpris, me dit-il, d'une voix grave, soulignée d'un très léger accent, mais je n'aurais su dire d'où il provenait.

- Ce n'est pas grave. J'imagine que tu avais une bonne raison... ? lui répondis-je.

Il jeta un coup d'œil inquiet autour de lui, comme s'il guettait quelque chose tout en passant une main dans ses cheveux... bleus ?! Comment avais-je fais pour ne pas remarquer cette couleur qui faisait tâche dans la masse blanche/grise/noire qui se déplaçait autour de nous ? Je baissai les yeux vers mon épaule et attrapai une mèche ondulée.

             - Oh mon dieu, mais... pourquoi est-ce que j'ai les cheveux violets ?!

- Tu devrais le savoir pourtant, si tu te trouves ici. On peut bien choisir d'être qui on veut, alors pourquoi ne pas avoir les cheveux bleus ou violets ? me dit-il en étouffant un rire. Très joli couleur au passage, ajouta-t-il avec un regard que je ne saurais interpréter.

- Attends... Ne me dis pas que... tu es réel ?! m'étranglai-je à moitié sous le coup de la surprise.

- J'en ai bien l'impression, me répondit-il avec un ton sarcastique. La connexion en réseau, ça te dis quelque chose ? »

Je levai les yeux au ciel, tout en essayant de dissimuler un sourire. Moi qui me croyais seule, j'aurais réellement mieux fait de lire le descriptif avant d'appuyer sur le bouton ON (nda : avez-vous fait le rapprochement avec la description de l'histoire ;) ?). Il regarda précipitamment derrière mon épaule, perdant immédiatement son rictus moqueur. Puis il m'attrapa le poignet et me tira derrière lui, en se faufilant entre les gens, tout en jetant un rapide coup d'œil derrière nous. Je me retournai, afin de voir à mon tour la cause de son trouble. A une centaine de mètres, un groupe de personnes de notre âge tout de noir vêtus bousculait tout le monde sur son passage ; il semblait être à la recherche de quelque chose. Ou quelqu'un.

« Qui sont-ils ? Lui demandai-je tout en essayant tant bien que mal de suivre le rythme avec lequel il m'entrainait.

- Mais de quelle planète viens-tu ? me demanda-t-il d'un ton pressant, tout en marmonnant dans sa barbe.

Nous commencions à quitter peu à peu la foule, à prendre de petits couloirs, moins fréquentés. Il accélérait de plus en plus, si bien que je devais trottiner pour suivre la cadence qu'il m'imposait.

- Bon, je vais t'expliquer. Ici, le but est de découvrir ce qui est arrivé aux habitants et à la ville en général. C'est une espèce d'enquête si tu préfères, débuta-t-il. Les joueurs sont divisés en plusieurs groupes.

Il me lâcha le poignet pour pousser une lourde porte en métal. Ce passage ne devait pas être souvent emprunté, puisqu'un nuage de poussière se souleva quand l'air froid de l'extérieur vint nous caresser le visage. Il me reprit la main de plus belle.

- Eux, continua-t-il en indiquant un endroit derrière nous, ils ne m'apprécient pas vraiment. En fait, je ne suis dans aucun groupe, je préfère jouer solitaire. Oh, j'ai oublié de préciser que le premier joueur ou groupe qui élucidera le mystère recevra 50 000 VM.

J'écarquillai en grand les yeux : la Virtuel Money était très prisée des joueurs, elle permettait d'acquérir de nouveaux artéfacts, compétences et bien plus encore.

- Tu as réussi à trouver quelque chose pour l'instant ? lui demandais-je, légèrement essoufflée.

- Oui, mais seulement une. Viens, je vais te montrer, c'est encore mieux que de la magie, me répondit-il avec son fameux sourire mystérieux. Tu as juste à faire la même chose que moi. Et à observer. »

Il resserra sa prise sur ma main et se mit à courir, m'entrainant à sa suite.

C'était alors qu'un phénomène extraordinaire se produisit. Le ciel qui était gris quelques secondes auparavant rayonnait désormais d'un bleu éclatant et limpide. Les arbres reprenaient vies : leurs feuilles d'ordinaires grisâtres prenaient peu à peu toutes les teintes de verts imaginables. La nature passait de l'hiver au printemps en accéléré, juste sous mes yeux. Elle semblait reprendre sa place initiale dans la ville, dans les rues ; les lierres grimpaient aux bâtiments, l'herbe dansait dans les jardins, et une brise légère et parfumée effleura mes narines.

Au bout d'une dizaine de minutes, je m'arrêtai, à bout de souffle. Je jetai un coup d'œil à mon acolyte, j'étais persuadée d'avoir le même regard que celui d'un enfant devant une montagne de cadeaux. Il rigola en voyant mon visage fasciné, mes cheveux violets tout ébouriffés. Mais petit à petit, le temps s'assombrit et tout redevint comme avant.

« C'est le goût de l'aventure, l'imagination et le bonheur, c'est-à-dire l'adrénaline de la vie qui nous permet de voir cette même vie en couleur. J'en suis venu à la conclusion que ces habitants ont perdu tout cela, m'expliqua-t-il après quelques instants de silence. Et quel est le meilleur moyen de ressentir l'adrénaline ? Sortir de sa zone de confort. Et courir. »

~ ~ ~

Je retirai le casque de réalité virtuelle de mes yeux et me redressait sur mon lit, tout en pensant aux dernières phrases qu'il avait prononcé : « Je t'ai fait une demande d'ami, ajoute moi quand tu seras chez toi. A plus tard ! ». Il avait souri puis s'était déconnecté. Il était donc réel. Mais je ne connaissais même pas son nom.

L'horloge affichait 19h. J'étais restée plus de 4h dans le jeu, chose qui se produisait très régulièrement depuis que je vivais la plus part du temps dans cette chambre d'hôpital aux murs blancs. La technologie avait réussi à nous donner des jeux plus réels que la vie elle-même, mais pas à trouver un moyen de réparer mes jambes. Quelle ironie.

Mon regard se posa ma table de chevet où une photo craquelée, souvenir du temps où nous faisions de longues promenades en forêt, avant l'accident, était posée. J'attirai d'une main le fauteuil roulant qui se trouvait à gauche et me glissait dedans. J'avais depuis longtemps perdu espoir de pouvoir marcher de nouveau dehors. De pouvoir courir dans les rues. Je me dirigeai vers la grande fenêtre, seule source de distraction de ma triste chambre. J'observai les derniers rayons rougeâtres du soleil de ce mois de Novembre se coucher derrière les bâtiments. Puis, doucement, l'adrénaline que j'avais ressentie en jouant me quitta, peu à peu, et, comme pour les habitants, le ciel redevint terne, fade et gris. 

Jeu de couleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant