Chapitre 3 -Apprends-moi

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Ce mec vient de remuer mes neurones et mon estomac comme un shaker. Ce qui n'est pas très gentil quand on sait que c'est mon premier jour et que je dois m'armer de courage pour avaler toutes ces nouveautés. Je retourne m'installer à ma table, un peu désarçonnée et déçue que notre échange fût si rapide. Ouf, pas de cappuccino abandonné. Le serveur tarde même à me l'apporter, de ce fait, je dois rester dix bonnes minutes à éviter le regard de Lucas qui n'est pas très loin de moi.

Ai-je vraiment le temps de m'attarder sur les garçons ? Je veux dire, mes parents ont payé une fortune pour me faire entrer dans cette université, ce n'est pas pour que je lorgne tous les beaux gosses qui m'adresseront la parole... À peine arrivée, mes hormones sont déjà en ébullition, ça promet pour la suite, non ?

Je finis mon cappuccino et part sans le regarder une seule seconde. Ça m'apprendra à craquer aussi vite.

Je parcours les grandes allées, profitant de chaque petit détail. Jusqu'à ce que je panique. Je ne trouve pas l'établissement dans lequel je dois me rendre pour mon premier cours. Il est bien inscrit sur le plan, proche de l'allée A, près de la banque, pile là où je me trouve, mais... rien autour de moi. Merde, Jane avait raison, j'ai probablement surestimé ma capacité à me repérer... Je retourne le papier de sorte à ce que tout soit bien aligné face à moi. Je me dirige vers le nord et après dix bonnes minutes de marche en plein soleil, ouf, je l'aperçois enfin. J'en prends plein les yeux ! Je n'aurai jamais cru que le bâtiment ressemblerait à ça. Tout est entièrement vitré. Le soleil tape sur la façade comme s'il voulait illuminer le campus tout entier et je dois me tordre le cou pour apercevoir le sommet. À l'extérieur, au pied de cette tour de verre, se trouve une terrasse dont de nombreux étudiants profitent.

Je pénètre à l'intérieur en pressant le pas et me retrouve face à l'amphithéâtre dans lequel je vais passer deux heures. Le silence règne dans cette grande pièce. Le prof est déjà là, appuyé contre son bureau, un livre à la main. Il s'agit d'un homme d'une cinquantaine d'années assez impressionnant. Sur mon siège, je me fais toute petite. C'est dans ces moments-là qu'il est difficile de se retrouver seule. J'essaye de trouver du courage et ose observer les autres autour de moi. Tout le monde est si calme, si sérieux... Quelques personnes bavardent, mais impossible d'entendre le son de leur voix. J'en remarque même quelques-uns qui recouvrent leur bouche pour faire moins de bruit.

Il est quinze heures tapant quand le prof pose son bouquin sur le bureau et se poste devant une sorte de micro. Il ne perd pas de temps et commence par faire l'appel. Cela me stupéfait. Nous ne sommes pas loin de cent étudiants, il va vraiment vérifier que tout le monde est là ? Eh bien oui...

Quand j'entends mon nom, je ressens comme une vague qui me donne le tournis.

— Madison Clay !

— Présente, s'élève ma voix à l'écho enfantin.

Sûrement habitué, le professeur ne met que sept minutes pour accomplir sa tâche. Oui, j'ai chronométré. En même temps, je n'avais que ça à faire.

Quand le cours commence, je sors fébrilement mon ordinateur portable de sa pochette, ainsi que mon cahier blanc décoré de nénuphars. Le prof va vite, très vite, trop vite. Je suis bilingue mais tout de même, cela ne me permet pas d'écrire comme Flash. Je réussis à trouver un rythme de croisière, ou du moins, à comprendre ce qu'il dit au bout de quelques minutes. Je note ce qui me semble important et puis d'un seul coup, sans crier gare, alors que ma concentration est au maximum, le professeur Monsieur Grewy, se met à hurler. Il monte ses deux bras vers le ciel, comme s'il voulait faire une incantation.

Si je comprends bien, il gesticule pour illustrer son cours.

L'air abasourdi, je regarde autour de moi. Les élèves n'ont pas du tout l'air choqués par cette attitude. Alors c'est normal que cet homme, au physique si sérieux se mette soudainement à péter les plombs ?

Finalement, je trouve que le cours est plus intéressant lorsqu'il donne de sa personne et de son énergie. Les mots percutent dans ma tête et ce côté amusant m'intrigue, m'attire. Parfois, je me retiens de rire et j'ai même l'impression que le cours passe plus vite avec cette montée de folie qu'a eue Monsieur Grewy.

Les deux heures terminées, je dois passer à la seconde salle de cours. Il s'agit d'une salle plus intime, plus originale dans sa disposition. Des ordinateurs sont positionnés en bordure de mur, mais quelques places plus confortables sont éparpillées au milieu de la pièce. Je suppose qu'elles sont faites pour les personnes possédant déjà leur propre ordinateur, alors je m'installe sur l'une d'elles. Mes fesses creusent l'assise d'un fauteuil aux revêtements molletonnés. Je fais un tour sur moi-même à l'aide de mes pieds, quand je suis stoppée net par l'arrivée du professeur. Je crois qu'il ne m'a pas vu. J'espère qu'il ne m'a pas vu. J'espère même que personne ne m'a vu.

Comme pour le cours précédent, il arrive en avance. Il attendra sûrement l'heure pile pour commencer son cours. Visiblement, la ponctualité est quelque chose de primordial dans l'éducation américaine.

Mon nouveau professeur, Monsieur Jefferson, est plus jeune. Plus séduisant aussi. Tellement séduisant... Dans ma tête, je le vois arriver au ralenti. Il passe une main dans ses cheveux bruns parfaitement coiffés sur le côté. Cela lui donne un air mature et intelligent. Oui, on peut avoir l'air intelligent grâce à une coupe de cheveux, croyez-moi. Sa barbe naissante le vieillit sûrement parce que je ne pense pas qu'il dépasse les trente-trois, trente-quatre ans. Malgré les poils épais qui donnent tant de caractère à son visage, je peux voir que ses joues sont légèrement creusées. Sa mâchoire ressort de manière tout à fait harmonieuse. Bon ! Ce n'est pas lui que je dois étudier !

Quand son regard croise le mien pour la première fois, j'essaye de rester naturelle.

Raté.

Je sens mes joues chauffer, je bouge nerveusement les mains et remue mon popotin sur le gros fauteuil. Je n'arrive d'ailleurs quasiment pas à écouter ce qu'il est en train de dire puisqu'il m'est impossible de ne pas fantasmer sur lui. J'ai une petite manie quand je suis tendue, c'est de relever mes cheveux. Alors, pour mieux évacuer la chaleur, j'attache ma chevelure brune et laisse certaines mèches plus courtes s'échapper de ma coiffure improvisée.

C'est un cours de quoi déjà ? Ah oui, marketing, c'est vrai. Il pourrait me faire acheter tout et n'importe quoi... Tout ce qu'il dit m'absorbe, et pourtant, je n'arrive pas à recadrer les mots dans le bon sens. Tout s'embrouille, tout est embué à cause de la beauté de cet homme.

Alerte ! Le campus Makka me donnerait-il le cœur artichaut ?

Pas très fière de cet état de fait, je dois vraiment me reprendre. Peu importe s'il explose le baromètre de sensualité, je rappelle mon imagination à l'ordre et préfère gribouiller sur mon cahier. Sans le regarder. Ça fonctionne... plus ou moins. Trois heures c'est long, et quand le cours est terminé, j'ai l'impression d'avoir lutté de toutes mes forces contre une bataille complètement loufoque.

Comme par exemple, celle de ne pas le déshabiller du regard.

Alors que la sonnerie retentit, je suis encore en train d'observer son corps grand, élancé et musclé ce qu'il faut. Il m'attire et me prend au piège. Je louche sur sa ceinture visible qui me semble de trop. Elle est mise en valeur par une chemise rentrée à l'intérieur de son pantalon. J'ai envie d'arracher sa cravate. Pourquoi j'ai envie de faire ça ? Je ferai mieux d'écouter son cours !

J'essaye d'être discrète, mais Monsieur Jefferson me remarque et me sourit. Dans ma tête, mon corps tout entier se glace, laisse tomber à terre le livre que je tiens dans la main, juste avant que je ne trébuche dans un escalier qui me fait tomber dans un trou sans fin. Oui, rien que ça, mon imagination peut s'emballer, parfois. Monsieur fantasme me salue de la main pour me dire au revoir, puisque c'est la fin de son cours. Je n'ai pas le choix, je dois quitter la salle, tout de suite. Dans le couloir, je m'adosse contre le premier mur que je croise et tente de maîtriser ma respiration saccadée. On dirait une ado qui flirte pour la première fois. Ridicule. Comment je vais faire pour passer l'année scolaire avec lui ?

Je n'ai pas réellement le temps de me remettre de mes émotions, parce que Jane m'appelle en visio sur mon téléphone. Est-ce qu'elle va enfin me faire part de la nouvelle que j'attends le plus depuis mon arrivée au États-Unis ?


Campus 1.0Où les histoires vivent. Découvrez maintenant