Voyez-vous mes enfants, je n'ai pas toujours été pieux et sage. Il y a fort longtemps, lorsque j'avais votre âge, dans une maison de redressement je me suis retrouvé. Voyez-vous mes enfants, dans ce temps, le moindre crime on punissait. Une pomme volée, un tissu qui d'un étalage du marché disparaissait entre les mains d'une enfant blonde peu pouponnée. Dans mon cas, ce fut un merveilleux gâteau parfumé à la vanille. Fébrile et attiré par son alléchante odeur, je ne pus résister. D'une main je saisis l'objet de ma convoitise m'attendant près d'une plaque de beurre. Mais de plein jour n'ayant jamais volé, quelle fut bien ma surprise lorsqu'une main aux énormes os m'agrippa d'un geste précipité. Et sans prendre en compte mon immense pauvreté, en maison de redressement on m'a expédié. Belle-Île-en-Mer était le nom de ce bout de terre de Bretagne. Dans la nuit on m'a emprisonné. Une partie de mon adolescence gâchée. La dépression s'est vite ancrée dans ma tête. Des chansons de mon enfance je chantais à tue-tête. Sans jamais m'arrêter. Et la nuit lorsque mes camarades dormaient, le geôliers venaient me frapper. Cesse ! Me hurlaient-ils. C'en est assez ! Et mes vêtements déchirés, et mes dents cassées, et mes ecchymoses bleutées témoignaient de mes traitements. Ce n'était pas la prison, pourtant ! Mais je ne supportais pas l'enfermement. Depuis petit je vivais en plein air et le plein air me manquait. Mon cerveau, tous les muscles de mon corps chaque jour un peu plus s'atrophiaient. Ici, je ne pouvais courir à mon gré. Voyez-vous mes enfants, vous n'avez jamais connu que la liberté. Ici, vous ne manquez de rien. Notre petite famille possède des biens. Vous ne connaîtrez jamais la captivité, je puis vous l'assurer. Comprenez donc qu'une belle nuit, j'en eus assez. Assez des travaux forcés. Assez de tout. Certes, à Belle-Île, j'étais nourri et logé. Des draps propres et des repas chauds. Mais pour moi, ce n'était que lits miteux et bouillasses au goût d'eau. Alors, passant discrètement par un trou dans le grillage de fer repéré auparavant, je mis les voiles, et suivis le vent. La douce lumière de la Lune éclairait mon chemin. Je marchais d'abord, prenant mon temps, me répétant que tout allait bien. J'admirais la beauté de l'île entourée par la mer. Je me noyais dans l'immensité de ces terres boisées. Levant la tête, j'admirai les étoiles, ce ciel d'ébène sans nuage couvert de cristaux. Et j'entendis la meute. Cette horde brandissant torches et fusils, elle ne pouvait pas passer inaperçue, tant elle faisait de bruit. Les aboiements des chies déchiraient le silence rassurant. Je sus qu'on s'était rendu compte de mon absence. Sans attendre plus longtemps, je courrais maintenant dans la nuit, seulement armé de mon courage de jeune garçon. Me parvenaient toutes sortes de sons, certains rassurants et d'autres non. Les animaux m'accompagnaient dans ma fuite, les cris effrayés des oiseaux me le firent comprendre de suite. Je sautais au-dessus des troncs couchés. J'évitais les broussailles dans la forêt disséminées. Vers la mer j'avais décidé de me diriger. Aux mains des gardiens c'était le seul moyen d'échapper. Les cris des messieurs me parvenaient aisément. Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! Ils s'étaient tous mis d'accord pour scander ce slogan. Mon objectif était de leur échapper. Je ne pouvais me rendre. Jamais je ne veux entendre de nouveau le craquement effroyable de mes os. Ils se rapprochaient progressivement. La panique me gagnait. La chance me sourit. Après une cavalcade effrénée, l'ombre d'un cabanon se détacha dans la lumière blanchâtre qu'offrait la Lune. Sans elle, je ne l'aurais point vu. Me précipitant à l'intérieur grâce à la modeste porte ouverte, je pus m'y cacher. Je pris le parti de sortir. La lumière orangée des torches se fondait avec la sombre couleur du ciel. Toujours sans faire de bruit, je me mis à galoper dans la nuit. Guidé par mon amante, j'aperçus le rivage. Le sable fin et les galets couleur d'étain murmuraient mon nom. Et celle qui me retenait prisonnier sur cette île devint mon amie et ma complice. N'abandonnant pas mes vêtements -croyez-moi mes enfants, ce fut une erreur, mais une moindre-, je m'abandonnai cependant à elle, plongeant dans ses bras comme les dormeurs plongent dans ceux de Morphée. L'écume tout aussi blanche que la Lune m'enveloppa, poussé par la rage de réussir je me mis à nager. Son aura de sel me caressait tendrement. Des balles sifflèrent près du rivage. Elle me protégea ardemment. Et plus je m'éloignais de l'île plus le sourire me revenait. Ô, cela faisait longtemps qu'un sourire s'était pointé sur mes lèvres. Il s'était pointé comme le soleil pointe à l'horizon, doucement, lentement, timidement. Et à présent j'étais libre comme le soleil. Mais surtout libre comme la Lune qui, doucement, lentement, timidement, s'effaçait dans un ciel moins noir. Le désespoir s'en était allé. Longtemps j'ai nagé. Plusieurs fois j'ai cru que mon amie s'était changée en ennemie. Plusieurs fois j'ai cru être avalé jusque dans ses abysses profonds, plusieurs fois la panique m'a gagné. Mais à la surface je suis toujours remonté. Et le soleil pointait à l'horizon et prenait le relais de mon amante qui jusqu'ici éclairait avec tendresse mon chemin. Mais la fatigue m'a gagné. Et c'est alors que je plongeai dans les abysses profonds de celle qui m'avait permis de m'échapper. Et, trempé jusqu'à la moelle, je ne ressemblais qu'à un petit point gris entouré d'un profond bleu, petit poisson de Belle-Île espérant atteindre le continent. Voyez-vous mes enfants, j'ai voyagé de la nuit à la lumière. De moineau en captivité, je suis redevenu colombe en liberté. Cette nuit-là, je me suis évadé. Cette nuit-là, je me suis senti mourir. Mais quoi de mieux que la liberté pour se sentir renaître ?
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Des nouvelles sans espoir
SonstigesVous vous apprêtez à lire un recueil regroupant des nouvelles, des poèmes, des écrits qui ne trouvent pas leur place dans ce que je tente de publier. Vous pourrez y trouver de tout, du fantastique à une description d'une jeune fille.