Mon meilleur souvenir de toi, c'était ce Noël où tu m'avais sorti de mon parc d'animalerie pour ma "bouille craquante" et mes yeux doux. J'avais beaucoup travaillé ce détail pour trouver un copain rapidement avec qui jouer. Tu n'étais pas spécialement venu acheter un chien, à l'origine, mais qui pourrait résister à ce regard angélique, cette tête ronde et cette queue frémissante ?
Tu m'avais ramené chez toi et présenté à tes enfants. Ils m'avaient tout de suite ouvert leurs bras et leur coeur, couvert de câlins et de jouets. J'étais rapidement devenu un membre à part de la famille. Tu jouais avec moi, tu me grondais quand je faisais des bêtises, mais je finissais toujours par me faire pardonner. La seule interdiction que tu m'avais posée, c'était de ne pas aller voir le vieux Mike au fond du jardin. J'aurais dû le voir comme un signe. C'était un vieux berger, malade, attaché à sa cabane jour et nuit. Il avait l'air sympathique et voulait bien jouer avec moi, mais tu me rattrapais à chaque fois que je m'approchais trop. Alors, pendant qu'on s'éloignait, je le voyais se recoucher, triste et fatigué, et j'étais moi-même un peu triste avec lui.
Et puis, un jour, Mike a disparu. Tu avais dit aux enfants qu'il s'était enfui pendant sa promenade, mais tu n'avais pas cherché plus que ça à le retrouver. Ils étaient tristes et je les réconfortaient, au point qu'ils l'oublièrent assez rapidement, et moi aussi. Chaque jour devint une nouvelle aventure : de grandes promenades, monter sur le canapé dès que tu avais le dos tourné, courir après le chat dans le jardin. Les mois et les années s'écoulaient, paisibles, et je pensais que ça ne s'arrêterait jamais.
Mais voilà, on ne reste jamais éternellement chiot. Je gagnai en maturité, en obéissance, mais aussi en poids et en taille. Ce petit panier dans lequel je passais mes nuits plus jeune devenait un peu plus petit de jour en jour, et tu n'avais pas envie d'en acheter un nouveau, donc je m'en contentais. Les rations dans ma gamelle devenaient moins dense, également, "pour économiser", comme tu disais. Les enfants me nourrissaient à table et, même si je voyais bien que cela t'agaçais, moi, j'avais faim et je ne trouvais pas d'autres alternatives à mon estomac toujours vide. Les longues promenades dans la forêt sont devenues de bons souvenirs, remplacés par ce vieux jardin mal entretenu, le seul auquel j'avais accès et dans lequel je restais toujours plus longtemps.
Et puis en plein été, tu m'as laissé tout seul à la maison pendant deux jours. Il faisait chaud et beau dehors, j'avais envie de faire pipi et malgré toute la bonne volonté du monde, il a bien fallu que ça sorte. Ce vieux jardin me manquait soudainement. Je savais bien que tu ne serais pas content et j'ai masqué mon acte comme j'ai pu, avec les coussins du canapé. Oui, je les ai un peu abîmés, et oui, j'ai un peu mâchouillé tes chaussures également. Mais tu ne revenais pas, j'avais peur et je ne savais pas quoi faire. Ma gamelle était plus remplie que tout ce que je n'avais jamais pu espérer et j'avais tout mangé en seulement une heure. La faim me tenaillait les entrailles, tout comme la soif, et j'ai fini par réussir à ouvrir ce coffre de métal dans lequel tu cachais la nourriture pour le dîner.
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La niche du vieux Mike
Short StoryMon meilleur souvenir de toi, c'était ce Noël où tu m'avais sorti de mon parc d'animalerie pour ma "bouille craquante" et mes yeux doux. J'avais beaucoup travaillé ce détail pour trouver un copain rapidement avec qui jouer. Tu n'étais pas spécialeme...