Huitième.

145 42 5
                                    

Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe


Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
07/02/19


Cher Kairos,

Pardonne-moi d'avoir attendu deux mois avant de te répondre. Je me doute que tu as dû te sentir abandonné ; seulement, je n'arrivais plus à... penser correctement. Au moment où je t'écris, il pleut. Il pleut en cette nuit de février. J'ai toujours aimé la pluie. Et j'aime bien le mois de février, aussi.


Tu m'as demandé de te raconter un souvenir d'enfance marquant. J'y ai beaucoup réfléchi, avec peine, car mon enfance n'est pas ce que l'on peut définir comme marquante. Aucun souvenir ne dessine un léger sourire sur mes lèvres. Mais j'ai décidé d'en donner un autre, qui n'était en rien marquant, qui ne dessine aucun léger sourire sur mes lèvres, mais qui résume quelque peu mon essence.

C'est un petit garçon portant le nom d'une fleur, qui marche dans l'univers. Il dépasse d'autres êtres, sans véritablement les voir. Il avance dans le temps, sans véritablement s'en rendre compte. Il n'a pas demandé à se retrouver sur le chemin de la vie, mais il ne peut rien y faire. Alors il se contente de continuer à marcher, continuer à avancer. Il a toujours été un peu solitaire, il n'a jamais vraiment eu besoin des autres. Le monde l'importe peu, à vrai dire. Seulement... l'être humain ne peut vivre sans ces fameux « autres » qui lui paraissent si futiles. Même lui, ne peut échapper à la règle. Cette réalité, il s'y retrouve confronté quand une météorite s'abat sur son esprit, quand la faux de la Mort l'effleure à de multiples reprises. Seul dans son néant, oppressé par la pesanteur qu'il ressent alors, il comprend qu'il ne pourra jamais connaître le devenir sans les autres.


Je viens de me relire rapidement ; désolé, tu ne dois pas saisir grand-chose à ce souvenir, ni même comprendre pour quelle raison je te l'ai raconté. Mais il a du sens pour moi, je crois que c'est le plus important, non ?


Oh, Ciel, je ne suis pas sûr que tu parviennes à déchiffrer mes mots, tant ma main tremble. L'orage gronde dehors, j'aime ce temps, je l'aime d'un amour inconditionnel. J'espère que tu apprécies ce moment, toi aussi, qu'il t'apaise comme il apaise mon être. Ou peut-être dors-tu, il est vrai que la deuxième heure matinale vient de se déclarer.


Mes yeux se ferment d'eux-mêmes, je crois qu'il est temps pour moi de poser mon stylo et de sombrer dans le sommeil. Mais avant... je profite de cet instant de semi-conscience pour alléger mon cœur, pour te confier ce que je n'oserais avouer si le jour me tenait éveillé.


Kairos, mon cher Kairos, je n'ai reçu que deux lettres de toi, mais je ne peux me passer de ta présence épistolaire. Ces mois sans te lire n'étaient que clavaire constant ; j'ai besoin de ton être. Je te prie, te supplie de ne jamais m'abandonner, je te supplie égoïstement de ne jamais me faire subir ce que j'ai fait par lâcheté et par crainte. Crainte de quoi, je n'en sais rien. Celle de m'attacher, sûrement. Ma main tremble si fort, je commence à regretter mes pensées mais je t'ai promis de ne pas écrire d'autres versions, alors je réprime mes remords et continue à noircir le papier avec des lettres maladroites.


Pardonne cette missive qui n'a pas de véritable sens ; mais, si tu le permets, j'aimerais te demander une chose. Tu sembles aimer tes amis... tu pourrais me parler d'eux ? Lire ta tendresse à leur égard me fera sans doute du bien.


Avec mon affection coupable,

Azalé.

Demain, dès l'aubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant