Été

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Ce fut une année de bonheur absolu. Elijam louait chaque matin de pouvoir s’éveiller à coter de celle qu’il aimait. Il lui arrivait de passer de longues minutes à la regarder dormir, hésitant à écarter du doigt les mèches bouclées qui cachaient son visage. Il ne se lassait pas d’elle, de son rire, de ses regards, de son humour pinçant un peu cruel même parfois. Le tact ne faisait pas partie de son caractère mais Elijam l’aimait ainsi, entière et franche.
Quelques semaines après leur installation, Eihre annonça être enceinte et Elijam faillit s’évanouir de bonheur. Sa vie lui sembla parfaite soudain. Sa réputation en tant que luthier ne cessait de croître et la femme que son cœur avait choisis allait faire de lui un père.
Maître Bremon décréta qu’il avait fini sa formation et qu’il était temps pour le jeune homme de prendre sa suite.
Tout allait bien pour Elijam. Mais seuls les comtes se terminent quand tout va bien.
Un garçon naquit deux mois avant la fin de l'année accordée par la fée. Elijam était persuadé que son aimée resterait à ses côtés pour élever leur enfant. Mais les fées sont des êtres magiques et leur choix ne sont pas dictées par la même morale que la nôtre. Ainsi, au soir de la treizième lune, Eihre annonça qu'elle retournait dans son monde.
"Je t'ai accordé les douze lunes promises, dit-elle  Elijam dévasté. Il est temps pour moi de quitter le monde des hommes. Je t'en prie, ne rends pas les choses plus difficiles".
Comme lorsqu'il était enfant, Elijam connu cette sensation de tomber dans un gouffre infini, cette peur d'être abandonné, lui, adulte, artisan reconnu de tous, se retrouvait blotti dans le froid contre une mère qu'il découvrait mourante. Plus rien ne comptait, le monde entier se fissurait autour de lui.
« Je ne veux pas vous perdre, réussit-il à articuler, mon amour et mon fils ne peuvent m'être arrachés ainsi.
-L'enfant ne vient pas avec moi, dit-elle avec ce qui semblait être du détachement. Il n'est pas de mon monde ».
Elijam questionna, encore et encore, il se facha, pleura, supplia mais rien n'y fit. Au coucher du soleil, Eihre parti, comme sa mère l'avait fait jadis, sans se retourner vers lui pour un dernier regard.
Elijam se retrouva seul pour élever l'enfant. Il trouva une nourrice et se plongea dans le travail. Sa vie reposait sur trois piliers désormais, son fils, son vieux maitre de plus en plus faible et son métier. Il ne jouait plus de guiterne, la musique ne l'intéressait plus, il s'y était fermé. Quelque chose avait séché dans son cœur.
3 années passèrent ainsi, au cours desquels Maitre Bremon s'éteignit un soir d'hiver. L'été suivant, l'enfant tomba dans une étrange apathie. Il ne jouait presque plus, mangeait très peu. Son regard se perdait souvent dans le vide, comme si son esprit partait ailleurs. Elijam connaissait ce regard, Eihre l'avait eu. Elle se taisait au milieu d'une discussion, comme absente. Il l'observait, silencieux, jusqu'à ce que son esprit réintègre son corps et qu'elle lui demande ce qui lui prenait de la fixer ainsi.
Mais, dans le cas de son fils, les choses étaient préoccupantes, il s'affaiblissait jour après jour. Alors, en dernier recours, Elijam le conduisit au bord du lac. Il n'avait aucune certitude que Eihre serait présente mais il n'avait pas d'autre choix, personne n'ayant réussi à guérir son fils du mal qui le rongeait.
Il joua pour la première fois depuis que sa fée l'avait abandonnée. D'abord maladroite, sa musique revint rapidement et empli à nouveau la forêt de notes douces et tristes, graves et inquiètes. Il joua longtemps, l'enfant allongé à ses côtés, dormant, épuisé. Et lorsque les cordes cessèrent de vibrer, elle se tenait devant lui, plus belle encore que dans son souvenir. Il croyait avoir apprivoisé la douleur de son absence, avoir tiré un trait sur son amour, il sut soudain qu'il en serait à jamais incapable.
Il se reprit et réussit à expliquer la raison de sa présence. Eihre parla peu, se contentant de les regarder. Elle semblait distante, mais de cette distance fragile qu'on s'impose parfois et qu'un rien peut faire voler en éclat.
"Il doit venir avec moi, lui dit-elle après l'avoir examiné. Il ne peut plus vivre dans ce monde à présent".
Une fois de plus, elle refusa qu'il les accompagne, malgré ses suppliques.
"Mon monde n'est pas pour toi et ne le sera jamais, pardonne-moi" Lui dit-elle d'un regard plus doux.
Pendant un court instant, perdu dans sa douleur, Elijam crut ressentir de la tendresse de la part de celle qui, à nouveau, faisait voler son monde en éclat.

La Combe aux FeysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant