Nous

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     Zerhiel s'arma. Le ciel était en flammes à l'horizon : ils arrivaient. Le contact du sabre la répugna. Mais par temps de guerre la survie des siens passait avant ses valeurs.

    « Herysse, ma chérie, va chercher les sacs de provisions à la remise. »

     Sa fille acquiesça avec un air beaucoup trop sérieux pour son jeune âge. Zerhiel prit Nowa dans son berceau et l'attacha dans son dos avec une grande pièce de tissu. Herysse revint vite et toutes deux montèrent à cheval sans plus tarder, n'emportant que le nécessaire.

     Elles parcoururent sans un mot la distance qui séparait leur maison isolée du faubourg le plus proche, où les habitants se préparaient déjà à s'enfuir. Au moins elles n'avaient pas à leur apporter la nouvelle de malheur. Elles ne s'y arrêtèrent donc pas. Savoir que tout ce qu'elles avaient connu ici serait bientôt envahi par les flammes était déjà trop dur.
     Zerhiel prit un chemin qu'Herysse ne connaissait pas. Arrivées dans une forêt, elles se retrouvèrent subitement au pied d'une falaise. Zerhiel dit à sa fille de s'arrêter et elle-même descendit de sa monture. Elle posa sa main contre la roche et celle-ci glissa pour dévoiler une cavité juste assez grande pour le vaisseau qu'elle contenait. Il semblait dater de l'époque de la colonisation par leur peuple de cette partie de la galaxie.

     Herysse savait que sa famille avait hérité de cette antiquité, mais voir un vaisseau spatial de ses propres yeux était autre chose. Surtout, le voir comme leur moyen de survivre, et non plus comme un simple symbole de technologie et vestige d'un ancien temps.
     Elle jeta un regard apeuré à sa mère. Ils n'allaient quand même pas quitter la planète où elle avait grandi ? Tous ses souvenirs, toute sa vie était là !

     « Maman ! On n'a pas pris le doudou de Nowa ! »

     Zerhiel perdit son masque. Une larme glissa sur sa joue, puis fut suivi par de nombreuses autres. Herysse la prit dans ses bras et elles se serrèrent l'une contre l'autre.

     « On est ensemble, rien ne peut nous arriver Maman. Il faut partir. »

     Elle savait qu'Herysse en avait trop vu pour croire en ce qu'elle disait. Zerhiel se surprit tout de même à rire doucement du contraste entre la remarque enfantine de sa fille et le ton maternel qu'elle venait d'employer.

     Elles montèrent dans le vaisseau. Il y avait à peine de la place pour eux trois, il semblait avoir été prévu pour un seul passager. Un vaisseau de reconnaissance sans doute. Herysse prit son petit frère sur les genoux et posa sa tête sur l'épaule de sa mère.
     Zerhiel démarra et sortit de la cavité. Le vaisseau s'élança vers le ciel laissant dernière lui une traînée faiblement lumineuse. Au loin elles voyaient les troupes arriver au niveau du village. Ils s'apprêtaient donc à commencer leur funeste tâche pour les malheureuses victimes qui n'avaient pas pu fuir à temps.

     « Ne regarde pas s'il-te-plaît, dit Zerhiel. Je préfère que tu te rappelles de chez nous comme tu l'as connu... pas comme ça.

     Herysse détourna son regard vers le plus petit des deux soleils, se laissant aveugler. Elle ne voyait plus rien à part cette lumière bleutée.

— Pourquoi est-ce qu'ils font ça ? demanda-t-elle finalement.

— C'est très compliqué.    

Ce n'était pas un « c'est compliqué » que les adultes sortent aux enfants pour se défiler face à une question. Zerhiel cherchait elle-même la réponse, et Herysse le comprit.

— Ils ne pensent pas de la même manière que nous. Je ne pourrais pas te dire comment ils pensent, parce qu'on n'a jamais réussi à vraiment parler avec eux.

Zerhiel rit à une réflexion qu'elle eut à cet instant :

— C'est très étrange, mais je crois avoir compris qu'on leur faisait peur.

— Nous ?! Mais pourquoi on leur ferait peur?

— Regarde nous, nos corps. On peut avoir l'air de prédateurs dangereux pour eux.

— C'est normal, on a dû s'adapter à l'environnement, tous les peuples ont dû faire ça si ils voulaient survivre ! Ils n'apprennent pas ça quand ils sont petits ?

— Je ne sais pas...

     Herysse se rendit compte qu'elle était bouillante de rage envers eux. C'était tout à fait compréhensible au vu de la situation, mais elle s'étonna de la ressentir avec autant de force. Elle n'avait jamais autant haï quiconque aussi viscéralement. Zerhiel sembla entendre les pensées de sa fille.

— Peut-être qu'ils le savent, mais ils ne font pas le rapprochement quand ils nous voient, dit Zerhiel après réflexion. D'après ce qu'on a compris d'eux ils    réagissent beaucoup avec leurs interprétations personnelles des    situations où ils se trouvent.

— Comment tu peux leur pardonner ? demanda Herysse au bord des larmes de fureur.

— Je ne leur pardonne pas.

— Tu cherches à expliquer leurs horreurs ! Ils tuent nos amis et volent notre planète !

— Herysse, tu comprendras.

— Me prend pas de haut comme ça !    

    Le mouvement brusque d'Herysse fit sursauter Nowa qui se mit à pleurer. Herysse se rappela soudainement de la présence de son petit frère sur ses genoux et le calma en le berçant doucement. Elle fut pourtant bien incapable de baisser de ton.

— Je ne comprendrai jamais comment tu peux rester aussi calme alors qu'ils nous ont tout pris.

Sa voix se brisa.

- Je reste calme parce que c'est le mieux à faire pour vous deux.    

     Herysse pleura silencieusement en regardant au loin. Zerhiel aussi. C'était incroyable à quel point leur douleur commune pouvait les rapprocher en cet instant précis.
     Herysse ne savait pas quoi répondre pour être à la hauteur de cette dernière phrase. Ne voulant pas qu'un silence s'installe, elle posa à la place la question qui lui restait à l'esprit depuis tout ce temps :

— Pourquoi tu pensais qu'un jour on pourra leur parler ? À chaque fois qu'on a essayé... ça s'est pas bien passé du tout.     

     Zerhiel pensait cela. Mais ce jour-ci elle ne savait plus comment défendre cette idée. Elle ne savait même plus si elle y croyait vraiment.

— Ils ont une civilisation, des constructions, des sciences. Ils vont forcément finir par comprendre que nous aussi et qu'on peut s'aider    mutuellement. Alors ils arrêteront de nous attaquer.

     Herysse médita sur ces paroles, puis épuisée elle s'endormit. Zerhiel pilota jusqu'à une autre colonie de leur peuple, où leur famille pourrait refaire leur vie dans un espoir d'une paix future.

     Heureusement, elle ne croisa aucun vaisseau de ces étranges bipèdes à carapace molle.

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