-Je crois qu'ils font une inspection de la cité-aquatique cet après-midi, fit une voix non loin.
Jun se figea, arrêta un instant de coudre et fit volte face, croisant le regard de son amie et maîtresse de l'atelier de couture, Dana, appelée communément vieille Dan.
-Comment le sais-tu ? Demanda-t-elle d'une voix innocente.
La vieille femme afficha un sourire édenté.
-Ils sont passés dans la cité-souterraine dans la matinée, c'est Caly qui me l'a dit ! Apparemment ils ont prit la fille de Madame Shan : les cheveux de ce que j'en ai entendu !
Jun déglutit lentement. À sa droite, Tracy prit la parole :
-J'ai entendu dire que le gouverneur Ron avait eu des jumeaux, marqués tous les deux ! Gloussa-t-elle. Les yeux et les cheveux ! Ils sont nés la nuit dernière mais ça n'a pas arrêté les gardes !
-Madame Xeres a eu un garçon il y a une dizaine de mois, réenrichit Dan, dès les premières mèches de cheveux ils ont accourut au palais, par peur de contrarier les Dieux.
Jun jeta un regard horrifié vers son amie.
-Ils ont volontairement livré leur enfant au palais ? S'étrangla-t-elle.
Tracy soupira.
-C'est qu'ils sont très croyants les Xeres.
-Puis c'est sans doute le mieux à faire, dit la vieille Dan d'une voix aux airs de lamentation. On ne peut pas cacher les élus aux yeux des gardes indéfiniment ! Le sang ne saurait mentir.
-Le sang ne saurait mentir, répétèrent machinalement toutes les femmes de l'atelier.
Jun aussi, à contre-cœur.
Les élus... Seuls les Dieux savaient pourquoi ils étaient traqués puis enlevés à leur famille si brutalement, peu importe leur âge. Ils suffisaient qu'ils portent la marque divine : des iris rouges ou des cheveux platines, presque argentés, parfois les deux, et ils étaient emmenés pour être élevés au palais. Un entraînement dur et impitoyable où la moitié des élus trouvaient la mort avant d'avoir passé le premier grade. 20 ans de formation, les Dieux avaient jugé cela bon. 20 ans divisés en 5 grades, pour façonner, élever les élus. Car plus tard, ils occuperaient les hautes sphères du pouvoir en tant qu'envoyés des Dieux.
Une intervention de Tracy tira Jun de ses sombres pensées :
-Sinon Jun, dit-elle de sa voix criarde, comment vont tes enfants ?
Un pâle sourire étira les lèvres de la jeune femme.
-Hanna est toujours apprentie érudite et Tyen est rentré dans la garde (le sourire de Jun se ternit à ce souvenir.).
Ses deux amies ne parurent pas s'en rendre compte.
-La garde ! S'exclama vieille Dan. Mais il a quel âge ?
-Il aura 17 ans le mois prochain.
-Eh bah, siffla Tracy, sacré gamin ! Il ira loin celui là.
Jun grimaça.
-Si seulement il tenait un peu plus de son père ! Il doit apprendre à être gentil et plus réfléchi.
Vieille Dan l'arrêta d'un geste de la main.
-Jun, c'est un adolescent : ils ont tous mauvais caractère, guère de quoi s'inquiéter.
La jeune femme répondit par un sourire forcé.
-C'est vrai, tu as raison.
Les cloches noires résonnèrent dans la cité-aquatique, toutes les têtes présentes levèrent la tête. Le cœur de Jun s'emballa. La traque a commencé. Vieille Dan se leva et calma l'assemblée qui commençait à s'agiter avec de grands signes.
-Allons, allons ! Calmez-vous ! Les cloches noires ont résonné dans la ville, c'est le couvre-feu. Rentrez chez vous et attendez les gardes. Le sang ne saurait mentir.
Aussitôt qu'elle eut fini de parler, toutes les femmes de l'atelier se précipitèrent au dehors. Jun rassembla précipitamment ses affaires et se rua hors de l'atelier. Heureusement, elle habitait la maison la plus proche. La jeune femme poussa lourdement la porte. À peine fut-elle entrée qu'une voix l'assailli.
-Mère !
Jun se précipita dans la cuisine où se trouvait son jeune fils. Ses yeux s'embuèrent mais elle se refusa de pleurer. La jeune femme s'agenouilla près du jeune garçon.
-Qu'y a-t-il mon amour ? Lui demanda-t-elle d'une voix douce.
-Elle m'a vu ! Piaula-t-il de sa petite voix. Han, elle est venue tout à l'heure, elle m'a vu !
Le cœur de Jun rata un battement. Des bruits agités se faisaient entendre au dehors. Les gardes.
-Cache-toi ! Souffla-t-elle d'une voix tremblante.
Elle poussa l'enfant dans son armoire et ferma les portes. Essayant tant bien que mal de rester calme, la jeune femme s'assit dans son fauteuil. On tapa violemment à la porte. La couturière ferma les yeux.
-Oui ?
La porte s'ouvrit dans un grincement. Jun leva la tête et aperçu Tyen sous le porche, épée à la ceinture. La jeune femme soupira et fit mine de se replonger dans son livre pour que le garde ne remarque pas qu'elle avait les larmes aux yeux. L'adolescent s'avança.
-Où est-il, Junia ? Demanda-t-il en essayant d'avoir l'air autoritaire.
La couturière laissa tomber son roman sur le sol et éclata en sanglots.
-Tyen, balbutia-t-elle, je t'en supplie...
Il porta la main au pommeau de son épée.
-Je ne demanderai pas deux fois, Junia.
La jeune femme se leva péniblement, toujours en sanglotant, et désigna la porte de son armoire. Tyen s'en approcha et l'ouvrit sans broncher. Un jeune garçon y était caché, il dévisagea le garde avec terreur. Ses grands yeux, un peu dissimulés par ses mèches de jais, étaient écarquillés par l'effroi. Un long sourire étira le jeune visage de Tyen lorsqu'il vu les yeux de l'enfant. Leurs iris étaient rouges, d'un rouge sang, écarlate, presque pourpre. Han n'avait pas menti. Il tira violemment le garçon hors de sa cachette. Jun pleura de plus belle.
-Tyen, s'il te plaît, c'est ton frère ! Tu ne peux pas...
Il l'arrêta d'un regard noir.
-Il porte la marque divine, c'est son destin d'être envoyé au palais. Même si je le voulais, je ne pourrai l'empêcher. Le sang ne saurait mentir.
Jun hurla de désespoir alors que Tyen emmenait son enfant. Son dernier né.
Mais l'adolescent avait raison : le sang ne saurait mentir.
Il faisait partie des élus.
Tel était son destin.
Anthos.
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Anthos
FantasyAnthos est encore jeune lorsqu'il est arraché à sa famille par la garde pour se rendre au palais et être entraîné avec les autres élus. Il grandit dans un monde cruel et impitoyable où l'amour et l'empathie n'ont aucune place et où l'enfer ne semble...