Partie unique

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En maternelle, je n'avais pas d'amis. Quand les autres enfants se couraient après ou jouaient à cache-cache, je restais dans un coin, à l'écart. Et j'observais. J'observais les gestes, les comportements. J'écoutais les mots qui parvenaient jusqu'à moi. Comme je n'avais rien à faire, "j'étudiais". J'ai appris à lire et à écrire bien avant les autres. Et j'aimais ça, j'aimais dessiner les mots.

Mes années de primaire ont été semblables. Je ne parlais pas, je n'avais pas d'amis. Mes parents, qui étaient également de nature discrète, ne disaient rien, après tout, j'étais bien comme ça. Mais ça n'a pas plus à ma maîtresse de CP. Elle a convoqué mes parents "Votre enfant est toujours mis à l'écart et ne parle presque jamais. Je voudrais qu'il voit un psychologue." Mes parents ont accepté, pour la forme. Durant deux mois, j'ai vu un psychologue, qui a très vite compris que cette solitude, c'est moi qui l'avais créé, que ce mur, c'est moi qui l'avais construit et que j'étais bien comme ça. Après ça, les autres maîtresses m'ont laissé tranquille, moi et ma solitude et j'ai continué à observer ce qu'il se passait autour de moi.

Durant mes quatres années de collège, on m'appelait "L'invisible", les gens ne me voyaient pas et je ne voulais pas qu'ils me voient. J'avais le même uniforme que les autres, je ne me démarquais pas. C'est durant cette période que j'ai commencé à analyser les comportements. Les personnes attirées par d'autres, des relations cachées, des ennemis. Les blessures, physiques ou psychologiques. Ce garçon qui parfois, quand personne ne regardait, s'asseyait et se tenait le genoux, cette fille qui tremblait dès que l'on s'approchait d'elle. J'aimais observer les gens. Je n'avais rien d'autre à faire pendant les pauses.

Au lycée, toujous pareil. J'ai coupé mes cheveux que j'avais laissé pousser au collège pour me cacher. C'est à cette époque que j'ai rencontré cette personne, de mon âge, différente des autres comme moi. Elle n'aimait pas les gens, elle était blessée, oui, c'était ce genre de personne qui en voulait à la Terre entière. C'est aussi à cette période que j'ai commencé à écrire. J'ai obtenu mon diplôme de fin d'études, mes parents étaient fiers de moi et ça me faisait plaisir de les voir si fiers de moi.

Une université assez prestigieuse de lettres m'a accepté. C'est à partir de ces années-là qu'une maison d'édition a accepté de publier mes écrits. Mes livres ont fait parler d'eux. Les critiques disaient que "mon style était poétique et triste, angoissant et nostalgique". Cette même période a marqué la fin de mon amitié avec l'autre personne, notre relation était étrange. Nous nous aimions mais rien n'était officiel. Et du jour au lendemain, cette personne est partie "Je vais me marier. J'espère que tu viendras." Bien sûr, je n'ai pas pointé le bout de mon nez au mariage. J'avais autre chose à faire. Après ça, les livres se sont succédés et ma popularité a augmenté. Je n'ai fait que peu d'apparitions publiques et dédicaces. Après tout, je suis quelqu'un qui observe, je n'agis pas.

Quand j'ai eu 25 ans, on m'a diagnostiqué un cancer du sang, une leucémie. Les médecins me répétaient "Nous pouvons vous soignez, la maladie n'est pas assez avancée." Pendant deux ans, j'ai enchaîné les chimios, sans résultat. Et j'ai refusé une troisième chimio, de toute façon, un médecin m'avait dit que j'étais dans un mauvais état. Et aujourd'hui, à l'âge 29 ans, je suis en phase terminale et je vais mourir le 18 janvier 2018.

Alors, qui que tu sois si tu trouves ce carnet, c'est que je ne suis sûrement plus de ce monde. Mais puis-je te poser une question? Tu ne crois pas que la mort est le résultat de la vie? Tu ne crois pas qu'il s'agit de l'objectif final?

Mourir ne me fais pas peur, qu'importe si les gens ont pitié de moi, qui ai vécu 29 ans. Je sais que je vais m'endormir pour toujours. Et ça me soulage, je me dis que, comme ça, je n'aurais plus aussi mal que maintenant, que je ne verrais plus tous ces regards de pitié que me lancent les gens. Je vais juste mourir. Ce n'est rien.

On m'emmène aux soins palliatifs. Il paraît que la durée de vie là-bas est d'en moyenne 11 jours. J'espère que je n'y resterais pas trop longtemps. Et je sais qu'ils sauront prendre en charge mes parents après ma mort. C'est réconfortant.

Au fait, je vais te dire mon nom. Je m'appelle Shin.


Le jeune homme repose le carnet qu'il vient de trouver. Finalement, il a lu la vie de quelqu'un qu'il ne connaît pas et qui n'a donné aucun indice sur son identité. Le printemps va bientôt se terminer. 27 mai 2018. C'est ce qu'annonce le tableau de la gare. Doucement, il repose le carnet. Quelqu'un d'autre le lira sûrement mais, par précaution, il écrit "A ne pas déposer aux objets trouvés" et il repart, monte dans son train. Il ne reverra sûrement jamais ce carnet, mais il ira vérifier demain, juste pour voir.

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