Le Syndrome de Capgras

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Je déteste les hôpitaux. S'il doit y avoir une raison précise à cela, je dirais qu'ils sont liés à une expérience traumatisante, pour moi.

Tout en eux me rappelle le cauchemar que j'ai vécu dans l'un d'eux : leur odeur, leurs draps blancs aseptisés, les murs immaculés. Les blouses des médecins. Le silence. Et, par-dessus tout, le désespoir. Il ne s'agit là ni d'une odeur, ni d'un quelconque signe visuel, mais les hôpitaux exsudent le désespoir et la douleur par chacun de leurs murs, comme un poison qui s'y serait insidieusement infiltré, pour ne jamais les quitter.

Avant même que vous ne le sachiez, il pénètre dans vos veines, vous vole votre énergie et tout votre espoir. Il vous prive de ce que vous avez de plus précieux : le souffle de votre liberté.

Mais il y a pis, et c'est ce que j'ai pu subir là-bas. Parfois, les hôpitaux vous arrachent quelque chose de plus profond encore, de si précieux que vous n'osez imaginer vivre sans. Quelque chose que l'on tient trop souvent pour acquis.

Vos proches. Souvent, lorsque quelqu'un meurt, c'est dans un hôpital que l'on vous l'annonce. Un médecin, en blouse blanche, un stylo dans la poche de poitrine, l'air grave, vous annonce la nouvelle d'un air terriblement affecté.

Seulement, la personne qui part est morte. Elle s'en fiche. De là où elle est, elle ne peut plus nous atteindre, de toute façon.

Alors pourquoi ne suis-je pas morte ? Pourquoi... je ne comprends pas. Comment ai-je pu survivre, alors que la Mort m'avait arraché le cœur, mais laissé la vie ?

Comment peut-on vivre sans proches ?

Ce jour-là, en ouvrant les yeux, j'ai immédiatement su que quelque chose n'allait pas, sans pouvoir mettre le doigt dessus. J'avais été admise à l'hôpital quelques jours plus tôt après un accident, dont je n'avais heureusement aucune séquelle apparemment grave. Un bras cassé, des côtes fracturées qui allaient m'handicaper un certain temps, mais rien de mortel.

On m'avait annoncé le soir précédent que j'allais enfin pouvoir recevoir des visites. J'avais été jugée un peu trop dans les vapes pour voir qui que ce soit auparavant, et j'étais surexcitée.

Ma mère est une incroyable lève-tôt. Tout mon contraire, qui se couchait et dormait tard. Aussi, je m'attendais à la voir dès mon réveil. Mon père aurait été à côté d'elle, l'air groggy et encore endormi. Bien sûr, il n'avait pas son mot à dire. Et, de toute façon, tout bougon qu'il soit, il aurait été heureux d'être là pour me voir m'éveiller, lui aussi. C'était l'un de ses petits plaisirs.

Et, effectivement, en ouvrant les yeux, je suis bien tombée sur le visage inquiet de ma mère. Mon père se tenait assis derrière elle, bras croisés.

Seulement, en les voyant, je n'ai pas ressenti l'habituelle chaleur qui m'envahissait toujours lorsque je contemplais mes parents. Mon cœur semblait vide, comme asséché d'un seul coup. Toute mon excitation retomba, ma mère poussa un cri, m'enlaçant tendrement.

« Ma chérie ! Tu nous as fait si peur ! »

Un frisson glacé courut le long de ma colonne vertébrale, et l'envie urgente de m'enfuir, de l'empêcher de me tenir se fit sentir. Pressante. Terrifiante.

Je m'étranglai, comme je me débattais pour me libérer de l'étreinte.

Cette femme ne pouvait pas être ma mère. Ni cet homme mon père. Ils avaient beau leur ressembler comme deux gouttes d'eaux, je le savais. Ce n'était pas eux.

« Lâchez-moi ! criai-je. Qui êtes-vous ? »

Ma mère me relâcha, de la douleur dans les yeux. Plus tard, en y repensant, je ne parviendrai pas à ressentir de culpabilité. Cela signifie que la maladie n'a pas régressé.

Le Syndrome de CapgrasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant