L'Horizon mit les voiles le 25 avril 1905 à 8h27 avec à son bord plus de 400 passagers. C'était un navire d'une taille raisonnable pour l'époque. J'étais l'un de ces riches touristes qui avaient choisis de découvrir le monde par delà les océans.
Une cabine luxueuse, un casino, trois piscines, des transats alignés le long de chaque pont, une salle de bal, plusieurs orchestres, tout était prévu pour que la croisière de plusieurs mois autour du monde, se déroule dans les meilleures conditions.
J'avais, comme les 399 autres passagers, dépensé une petite fortune pour changer d'air. On m'avait diagnostiqué dépressif, et le meilleur traitement d'après les médecins consistait à quitter mon environnement, rencontrer de nouvelles personnes, et laisser pour un an la vision de la fabrique de textile héritée de mon père, afin de reprendre goût à la vie. C'était donc avec confiance mais réticence que j'avais laissé aux mains de mon neveu Tristan, les rênes de l'entreprise.
Ma mère avait trouvé l'idée des médecins excellente et me l'avait bien fait comprendre par son enthousiasme qui semblait n'avoir aucune limite. Sans doute était-elle trop heureuse de retrouver l'espoir infime qu'un jour je rencontrerais une femme avec qui j'aurais un ou plusieurs enfants.
Néanmoins je n'avais pu empêcher mon cerveau de lancer un décompte jusqu'au jour du départ, à l'instant même où ma mère tint la carte d'embarquement entre ses mains.Ce fut d'ailleurs un soulagement de voir la femme qui m'avait mise au monde, devenir floue petit à petit alors qu'elle restait sur le quai pour voir disparaitre la tache noire qui m'emportait au loin sur les eaux de l'océan Atlantique.
Il ne m'avait fallu que deux semaines pour faire le tour des activités du navire. Mes journées se ponctuaient par un réveil à huit heures, d'une observation de la mer à l'arrière du bateau, d'une mémorisation de chaque couloir, d'un déjeuner rapide, d'un moment bronzage sur un transat, d'une redécouverte de l'horizon bleu, de réflexions, de siestes, d'un diner léger et de déambulations parmi les joueurs du casino avant de retourner à ma cabine sous les coups de vingt-deux heures.
Cette monotonie ne semblait avoir aucun impact quelconque sur ma dépression. Cela dura encore deux jours avant notre première escale. New York était réputée pour être une ville d'espoir et de seconde chance pour les européens en quête de gloire des de richesse. Mais pour moi ce n'était rien de plus qu'un amas de bâtiments bien trop grands, en construction à chaque coin de rue.
Si j'avais eu quelque espoir d'être diverti depuis mon départ de France, ceux-ci s'étaient envolés. Le séjour à terre avait duré une semaine. Une semaine à trainer dans les rues sans objectif, à contempler les étoiles allongé sur un transat à une quelconque heure de la nuit, loin de toute effervescence.
Lorsque le navire avait reprit la mer, certains passagers étaient descendus et d'autres étaient montés. Cela n'avait pas fait de mal à ma routine, au contraire. Voir de nouveaux visages durant les semaines qui suivirent, ponctuées d'autres escales à Rio de Janeiro, Santiago, Lima, Acapulco, San Francisco et Juneau, fut indispensable à ma santé mentale.
Sans cela, je crois bien que j'aurais pu développer une haine irréversible envers les européens bien trop présomptueux, prétentieux et arrogants. Ainsi, le navire débarquait de nombreux idiots et se renflouait de gens nouveaux.
Et parmi eux se trouvais Martin. Ah ! Ce cher Martin. Un garçon de mon âge au caractère foncièrement joyeux et gentil, à la tête pleine d'idées novatrices et au coeur grand comme notre planète. Je l'avais observé pendant un moment en me demandant ce que cela faisait d'être heureux comme lui, de pouvoir imaginer tant de choses comme lui, de savoir s'ouvrir aux autres avec autant de facilité comme lui.
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Autrefois sous l'eau
RandomJ'avais choisi de faire le tour du monde pour soigner ma dépression. Alors j'avais embarqué sur l'Horizon le mardi 25 avril 1905 pour un an. J'avais l'impression de vivre dans un rêve. Ma vie prenait enfin un sens.