C'est pire que tout ce que j'avais imaginé. Ma tête se met à tourner dès que j'entre dans la pièce, le bruit incessant des machines me plonge dans un état second. Je suis venue ici plusieurs fois ces dernières semaines et pourtant j'ai l'impression de franchir la porte pour la première fois.
Mon regard se pose rapidement sur toi, tu as l'air si serein, est-il encore possible que tu ouvres les yeux ?
Je perds la notion du temps, peut-être que plusieures heures ont défilé lorsque je me décide à avancer vers toi. Ma main tremble alors que je prends une chaise, la rapproche de toi et m'assoie sans dire un mot.
Je pense à notre rencontre, t'en souviens-tu ? C'était une journée d'automne, le froid mordait ma peau mais le soleil brillait au dessus de ma tête. Notre saison préférée. Et nous avions eu la même idée : aller faire un tour dans le parc. Tu y promenais ta chienne, j'y allais pour me changer les idées. C'était une drôle de période de ma vie, j'avais besoin de changement et Jodie est arrivée, elle tirait sur sa laisse à la recherche de caresses. Elle adorait que je lui frotte derrière l'oreille. Ce jour là, grâce à Jodie, la discussion s'est engagée. Nous nous sommes revus plusieures fois dans ce parc, j'y allais tous les jours pour être certaine de ne pas te louper. Pour la première fois de ma vie, j'étais sûre d'une chose : toi. La suite, tu la connais. Nous ne nous sommes plus jamais quittés.
Bip. Bip. Bip.
Je suis tirée de mes pensées, prise de nausées, j'essaie de détourner mes yeux de toi mais je n'y arrive pas. Ta bouche épaisse, ton sourire charmeur, ton nez en trompette, les rides aux coins de tes yeux, les taches de vieillesse qui fleurissent sur ta peau, jamais je ne pourrai oublier ton visage.
J'entends encore les rires inonder notre maison, tu es la personne la plus joyeuse que je connaisse. Je me revois louper le repas de ton anniversaire et t'entendre rire aux éclats en me disant que tout ce qui compte c'est qu'on le passe ensemble. T'en souviens-tu ? Nous nous sommes aimés durant chaque jour que Dieu a fait.
Plus de rires pour remplir cette chambre froide aujourd'hui. Notre dernière discussion, la promesse que je t'ai faite, comment l'oublier. Je ne peux revenir en arrière. Tu m'as protégé pendant tellement d'années, tu as comblé mon coeur, séché mes larmes, vaincu mes peurs, effacé mes doutes. Tu m'as demandé l'impossible, mais comment pourrais-je te le refuser ?
Ce jour où tu as reçu le coup de téléphone qui allait changer notre vie, t'en souviens-tu ? Tout est allé très vite après ça, nous avons profiter de chaque seconde, chaque sourire, chaque regard, chaque baiser.
Tu t'es battu, oh oui, tu t'es battu. Tu as toujours été un battant, même dans les plus banales situation. Tu t'es battu pour te faire respecter à ton travail, tu t'es battu pour que notre fille puisse réaliser ses rêves, tu t'es battu pour qu'on achète la maison familiale de nos rêves, tu t'es battu toute ta vie, tu t'es battu pour ta vie.
Et la seule fois où tu abandonnes, c'est aujourd'hui.
Ce matin, quand je me suis réveillée, pour la première fois depuis longtemps je me souvenais de mon rêve. J'y ai vu une femme pieds nus portant une longue robe, ses cheveux s'agitaient dans le souffle du vent. Si tu le pouvais, tu m'expliquerai sûrement ce qu'il signifie et qui elle est; tu as toujours été passionné par les mythes, le folklore et les légendes. Etait-ce un présage ?
Je n'entends que le bruit de ma respiration à présent, j'ai l'impression de devenir folle, je m'affole. Mon visage est recouvert de larmes quand ma main s'approche de la machine. J'ai promis.
Alors pars, pars pour un monde inconnu, pour ce dernier voyage. Retrouve Jodie et attends-moi, je te retrouverais à l'orée d'une paisible rive pour te serrer une dernière fois dans mes bras.
D'un coup sec, j'arrache le câble de la machine. D'un coup sec, je t'envole.
Bip. Biiiiip. Biiiiiiiiiiiiiiiiiip.