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Je me lève, le soleil d'hiver m'éblouit légèrement. C'est le weekend pourtant je me réveille à six heures. D'habitude, je ne dors pas aussi peu. C'est vraiment étrange. J'ai beaucoup de mal à trouver le sommeil et maintenant je n'ai dû dormir que trois heures, tout au plus. Je n'ai pas vu mon frère hier soir, il est surement sorti la nuit. Mais ça ne lui ressemble pas vraiment, ou du moins pas dans mes souvenirs. Je découvre beaucoup de choses ces derniers temps sur mon ainé.

J'ai entendu la porte d'entrée s'ouvrir. Puis deux voix qui chuchotaient, bien que l'une des deux soit bien plus forte et grave que l'autre. Il devait être dans les environs de deux heures du matin.

Mais le garçon est visiblement reparti puisque je ne trouve que Jin dans la cuisine. Il se retourne vers moi avec un sourire qui se fane rapidement. Qu'est-ce que j'ai ? Il m'observe sans rien dire et reprend son occupation.

Chaque matin c'est la même chose. Les mêmes gestes, les mêmes airs, les mêmes regards. Une sorte de routine. Nous n'échangeons aucun mot et il semble s'en accommoder. Mais pas moi. Je n'aime pas le fait qu'il m'ignore. Ça m'énerve. Je suis son frère et il passe plus de temps avec ses amis et ses révisions. Ou peut-être les deux en même temps. Il sort parfois le soir, me laisse un peu de nourriture à réchauffer mais ne me donne aucune autre nouvelle. Il ne l'avait encore jamais fait avant. Mais j'ai l'habitude maintenant. Même si ça ne veut pas dire que j'accepte qu'il soit comme ça avec moi.

Je vais m'asseoir et attends en silence. Un sentiment un peu étrange me prend. Je me sens observé. Pourtant, la seule personne présente dans l'appartement est Jin et il me tourne le dos. Ce n'est surement qu'une impression. Rien de grave.

Il pose un bol fumant devant moi alors que je suis perdu dans mes pensées. Il ne s'en formalise pas et va lui aussi s'asseoir à l'opposé de moi. Nous sommes face à face mais ne disons toujours rien. Un silence pesant s'installe pour moi, je me sens comme plus petit, plus fragile ici. Je n'ai qu'une envie : partir. Quitter cette pièce bien trop grande pour deux.

Je fixe Jin qui mange. Ses traits n'ont pas changé alors pourquoi ai-je autant l'impression d'avoir un inconnu devant moi ? Qui est-il ? Ce n'est pas Jin. Ce n'est pas le Jin que je connais, celui que je pouvais appeler grand frère avec un sourire. Maintenant ce n'est plus qu'une étiquette. Il est mon frère c'est tout. Il n'a aucun statut privilégié comme avant.

Il scrute son portable, le tenant dans une de ses mains tout en mangeant avec l'autre. Il ne m'adresse aucun regard. Alors pourquoi est-ce que je me sens observé ? Ce n'est qu'une impression. Oui. Une impression. Pourtant plus je me répète ce mot, plus il sonne faux dans mon esprit. Ce n'est qu'une simple impression. Une impression. Toujours une impression. C'est faux.


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- Il est là, je le sais. Il est là, il est là, il est là...

Je le fixe, les mains toujours accrochées à sa chemise rose pâle parfaitement lisse. Il refuse de me croire, de m'écouter, d'admettre la vérité. Et je m'obstine, je lui répète les mêmes phrases désespérément. Mais n'est-ce pas en vain ? Je ne veux pas le comprendre, je veux réussir à le lui prouver. J'y arriverais. Mais comment faire lorsque l'on n'a pas d'autres preuves que sa propre parole ?

Mon frère me regarde de ses yeux sombres qui montrent sa peur, son inquiétude. Pas une inquiétude pour moi, mais pour ce que je dis. Il n'y croit toujours pas. Mes sanglots redoublent de puissance. Je n'arrive plus à articuler le moindre mot. Je m'étouffe presque avec ma salive. De toute façon, quoi que je dise, il ne l'écouterait pas. Mes doigts se referment encore sur son vêtement, mes bras me font mal à force de les contracter, la boule dans la gorge semble doubler de volume. Pourquoi ai-je si mal ? Pourquoi est-ce que tout devient flou ?

Et son regard me paralyse. Je le sens dans mon dos. Je suis presque sûr qu'il est à la fenêtre d'en face. Des sueurs froides me font frissonner. Mes bras tremblent encore plus. Je relâche enfin Jin qui me scrute d'un air inquiet. Encore plus que d'habitude. Il ne comprend pas ce qui m'arrive, ce changement soudain d'expression. Il ne me comprend pas, il ne veut pas me comprendre. Je suis gelé sur place, je ne respire plus. Mon visage a dû virer au rouge.

Comme un automate, je me retourne et avance à pas lent vers la fenêtre. Il doit être là. Proche. Derrière cette vitre. Je n'ai qu'à traverser la cour pour être devant lui. Je fais un pas en avant. Il est là. Pas loin. Encore une autre pas et je pourrais le voir. Mais alors que mes doigts effleurent la poignée, je me sens tiré en arrière brusquement. Mon frère me retient contre lui fermement. M'empêchant de faire un geste de plus. Il est là. Je veux le voir. Je veux pouvoir mettre un visage sur ce type qui fait de ma vie un enfer.

- N'approche pas de ça !

- Il est là, lâche-moi.

- Non !

- Je veux juste regarder.

Oui je veux juste regarder. Mais il ne me laisse pas faire. Au contraire, il resserre son étreinte sur moi. Pourquoi ? Il ne me fait pas confiance. Plus assez pour me laisser bouger. Je sens sa peur dans sa façon de me prendre dans ses bras. Mais pourquoi cette peur ?

Je me débats un peu plus, je n'en peux plus. J'étouffe. J'ai de plus en plus de mal à respirer, de plus en plus de mal à penser. Mes yeux me piquent, je bats des cils pour chasser les larmes qui commencent à perler. J'ai l'impression que ma trachée est compressée, j'halète. J'ai mal au ventre à force d'essayer de réprimer mes sanglots.

Je finis pas me lâcher complètement. J'arrête tout geste et me laisse tomber. Il me retient à bout de bras et me traine jusqu'au canapé dur où je m'assois ou plutôt m'affale. Ma tête vient cogner l'accoudoir alors que je me recroqueville sur moi-même, faisant abstraction de la présence de mon frère. Ignorant le fait que je puisse paraître faible face à lui. Ça n'a plus d'importance en ce moment même. Plus rien n'a d'importance. Lui seul en a.

Je me laisse aller. Je finis par fermer les yeux avec comme dernière vision les chaussons roses et gris de Jin qui s'éloignent. La porte se referme et le voilà parti dans sa chambre. Comme à chaque fois, il va s'enfermer réviser. Je n'existe plus pour lui. Il m'a déjà oublié. Quand je suis calme il ne me voit pas, quand je ne le suis pas il se contente de me calmer. Et il m'ignore. Je me sens seul sans lui. Pourquoi est-ce que je l'ai suivi ici ? Pourquoi ne suis-je pas resté chez moi ? Je me sens comme un intrus dans cet appartement. Jin me manque. Celui avec qui je m'entendais si bien. Maintenant j'ai juste l'impression de le déranger, de n'être qu'un inconnu, un étranger.

Mes larmes dévalent encore mes joues. J'en ai assez de pleurer pour lui. J'en ai assez de le voir s'éloigner à chaque fois. De me délaisser tout le temps. Qui suis-je donc pour lui ? 

Il est làOù les histoires vivent. Découvrez maintenant