Nous étions désormais assis au bord de la route Aiden et moi, à garder la tête rivée sur le goudron de la route qui fondait légèrement à cause de la chaleur de l'été.
Dans l'atmosphère régnait une odeur de goudron chaud et de l'agréable humidité de la nuit. Une fois de plus, sans un mot, nous étions tous deux côtés-à-côtes.
J'avais fini par poser ma tête sur les jambes d'Aiden parce que je me sentais moins "lourd ainsi : mes regrets, ma honte, ma culpabilité et tout le reste, tout ce qui pouvait me blesser ou me toucher de près, j'avais tout posé sur la cuisse robuste bien que fine d'Aiden et j'avais fermé les yeux.Je pensais au carré de fleur dans la clairière, à quel point c'était un endroit magnifique, et que je l'avais renié au même titre que tout le reste si cela m'avait pu permettre d'oublier tout ce que je connaissais.
Je me sentais d'autant plus honteuse d'avoir souhaité ceci alors qu'Aiden, ma mère et tres certainement d'autres personnes devaient être plus qu'inquiètes en ce moment tres précis, tandis que je me lamentais sur le goudron chaud de mon village."Comment tu m'as retrouvée ?" Je m'osai enfin à demander à Aiden.
"Je n'ai pas cessé de te courir après dès l'instant où tu es partie précipitamment devant l'arbre." Répondit calmement Aiden en regardant devant lui.
"Merci d'avoir couru autant que moi."
"Je crois que j'ai surtout couru pour moi, je ne pouvais pas te laisser seule dans la détresse où tu semblais être quand tu t'es enfuie."
Je contemplai les étoiles.
Sa voix avait le don de m'apaiser d'une manière que je ne comprenais pas et qui me faisait tant de bien que je sentis mes yeux se remplir de larmes de soulagement. J'inspirai au même moment où il inspirait, et me calquais sur ses expirations. Les cigales chantaient derrière nous, et je réalisai que ce moment était beau, et que je n'avais besoin de rien d'autre que de me permettre de l'apprécier encore quelques instants.
"Il y a une histoire que je connais depuis toujours sans jamais avoir vraiment su comment, dit Aiden en se redressant légèrement. C'est l'histoire d'une petite fille qui ne sortait jamais de sa maison de pierre et qui regardait tous les soirs par delà sa fenêtre la colline qui s'offrait à ses yeux. Elle lui paraissait tellement grande, insurmontable. Cependant, elle se laissait tous les soirs, au bord de sa fenêtre, à rêver de ce qu'il s'y cachait derrière. Elle imaginait le son du chant des oiseaux, la couleur de l'herbe, la vue du soleil dans la journée et de la lune le soir. Elle se laissait bercer par l'illusion que le vent qui soufflait en bas, là où elle habitait, la ferait voler un jour tout en haut de la colline, et qu'elle puisse voir de là-bas tout ce qu'elle n'avait jamais pu voir d'ici. Alors, un jour, elle décida de gravir la colline. Elle se munit d'une bouteille d'eau, d'un peu de pain, puis partit, plus déterminée que jamais de la gravir. Elle était pleine d'enthousiasme et d'ambition, mais à peine fut elle arrivée devant celle-ci que sa maison lui parut deja très loin ; mais le soleil tapait deja haut dans le ciel, annonçant que la moitié de la journée était passée. Elle se raisonna alors, elle ne pouvait faire marche arrière désormais, et elle planta son premier coup de bâton dans le sol, et se mit à fouler la terre de ses pieds. Elle marcha pendant des heures, et plus elle marchait, plus la petite colline qu'elle voyait depuis la fenêtre de sa chambre lui semblait un Everest maintenant qu'elle l'avait devant ses yeux. Elle s'essoufflait, se tuait à la tâche comme jamais elle ne l'avait fait au paravant, elle fournissait des efforts qui jusqu'à lors, ne lui avait jamais été d'aucune utilité de fournir nul part ailleurs. Elle monta, elle marcha, elle s'essouffla contre le flan de la colline, parce qu'elle savait que même si la montée était rude, elle aurait la plus belle vue du monde une fois arrivée en haut. Et elle arriva, le soir, à la tombée de la nuit. Elle y était : elle était au sommet de la colline. Une fois son bâton posé, elle se rendit compte de la couleur si verte de l'herbe, elle sentit la douce lumière de la lune sur sa peau, et écouta avec autant d'admiration que d'attention le chant des chouettes ainsi que des oiseaux nocturnes. Elle s'avança doucement, et regarda sa maison en bas. Mais soudain, elle se rendit compte avec stupéfaction que sa maison se trouvait juste à deux pas d'elle, et qu'elle pouvait presque toucher le rebord de sa fenêtre si elle se penchait un peu plus. Elle ne comprit alors pas la raison pour laquelle la colline lui avait semblait si haute, si loin et si infranchissable alors qu'elle habitait juste devant depuis tout ce temps."
Je tournai ma tête vers Aiden, il me regardait à présent, puis il poursuivit.
"La colline n'était en fait qu'une plaine devant sa maison, mais elle n'en était tellement jamais sortie qu'elle l'avait imaginé comme une colline qu'elle ne gravirait jamais, et que chaque pas qu'elle avait fait lui avait coûté autant de temps et d'énergie car c'était un pas qui l'arrachait loin du foyer dans lequel elle s'était toujours murée et réfugiée."
Je le regardais intriguée, commençant à faire le lien peu à peu. Aiden étreignit doucement ma main et me regarda droit dans les yeux.
"Tu t'es construit un mur de pierre tout autour de toi Juliette, et ton rétablissement te semble être un Everest que tu ne surmonteras jamais. Mais c'est là ta plus grande tromperie, car oui tu mettras du temps à arriver à ce sommet, mais lorsque tu y seras arrivée, tu constateras alors par toi même qu'il n'était pas si haut."
Nous nous regardâmes pendant quelques minutes encore, avant que je ne me redresse moi-même pour le serrer dans mes bras.
"Je t'aiderai à fouler chaque parcelle de la terre de cette colline Juliette, je te le promets."
Et sur ces mots, nous nous levâmes, main dans la main, en direction de ma maison qui allait je l'espérais, n'être plus entourée d'autant de pierres désormais.
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Crépuscule
Non-FictionOn aime jamais autant quelqu'un que lorsqu'il est mort. Et l'on ne regrette jamais autant certaines choses que lorsque l'on ne pourra jamais se les faire pardonner. Comment sommes-nous sensés alors aller de l'avant et prétendre que la vie peut sui...