Félitopia

Prologue

Prologue

Goldycia peignait ses longs cheveux, quand le soleil raviva leur blondeur. Un rayon venait de traverser sa chambre. Elle s'observa dans le miroir. À dix-huit ans, elle paraissait plus âgée, avec ses yeux gris-bleu trop sérieux. Cela lui convenait, compte-tenu de son rôle. Elle devait succéder à sa mère pour le titre de reine, lorsque cette dernière franchirait le cap des soixante ans. Cela arriverait dans cinq ans. Goldycia ne se sentait pas sous pression, pour une simple raison. Pleine d'ambition, elle avait travaillé depuis son enfance, pour se montrer à la hauteur. Autre chose la préoccupait. Elle devait épouser un membre des deux autres familles de Métaux.

Les divinités félines, en haut de la hiérarchie, s'assimilaient à des cristaux. Quant aux humains, ils se divisaient en trois clans, associés aux précieux métaux. On comptait trois grandes familles. La famille Or, la famille Argent et la famille Bronze régnaient désormais sur la planète. Quant à Goldycia, elle était née dans la plus puissante des lignées, celle de l'Or. En tant que première née de la reine, elle incarnait son héritière. Goldycia se sentait prête à régner sur la cité de l'Or, mais elle ne voulait pas épouser un prince de Bronze ou d'Argent. Elle ne souhaitait pas se marier du tout.

Elle refusait de s'encombrer des affaires maritales ou familiales. Goldycia reposa brusquement sa brosse, en pensant à tous ces protocoles. Cela la fatiguait. Quand elle prendrait le pouvoir, elle essaierait de changer certaines règles. Elle devrait juste éviter de s'attirer les foudres des divinités félines. Ces dernières avaient mis en place bon nombre de règles. Pour des déesses, elles se montraient très accessibles vis-à-vis du peuple. Il pouvait les voir évoluer dans les trois cités et leur parler. Lorsqu'elles n'édictaient pas elles-mêmes leurs lois, les félitopiens se laissaient guider autrement. Ils consultaient l'oracle de Félitopia.

Tous les cinq ans, on désignait une nouvelle équipe de peintres pour représenter chaque déesse sous forme de portrait. Ces œuvres, on les numérisait pour créer des cartes oracles. Chaque entité représentait un archétype. Lorsqu'on tirait une carte, on se reconnaissait dans ce modèle, qui possédait ses propres valeurs. La carte guidait la personne qui la désignait. Elle bénissait cette dernière. Goldycia avait du temps, avant que sa mère ne lui rende visite dans ses appartements. Elle pouvait consulter son propre jeu de cartes. Comme on le recommandait parfois, la future régente limitait ces séances de consultation. Les cartes, bien que bénéfiques, exerçaient toujours une influence puissante sur le consultant. Cela le dépossédait légèrement de son libre arbitre.

En cet instant, Goldycia devait obtenir des réponses. Elle battit les cartes. Avant qu'elle ne les dispose, l'une d'elles tomba par terre. Lorsque cela arrivait, ce n'était pas anodin. Les divinités avaient délivré un message précis à Goldycia. Cela façonnerait son avenir de manière encore plus marquée. Tendue, elle ramassa la lame face cachée, puis la retourna. Elle représentait Tigereyes et son abondante crinière. Elle incarnait la puissance, la force et le charisme. Cela lui convenait, mais un élément la tracassait. Cette carte symbolisait aussi la créativité. Cela, Goldycia ne le comprenait pas. En tant que politicienne, elle n'avait pas la fibre artistique. Elle ne complexait pas, loin de là. Les arts ne l'intéressaient pas. Seule la gestion de la société comptait pour elle. Même si toutes les cartes étaient positives, celle-ci la mettait mal à l'aise. Tigereyes la fixait de son regard ambré. Elle la plaça derrière les douze autres cartes, puis reforma le tas, avant de ranger le jeu dans son coffret.

Lorsqu'une carte jaillissait de son paquet, les prédictions s'accéléraient. Cela l'incommodait encore plus. Comme elle avait fini de s'apprêter, elle lut un ouvrage sur l'histoire des trois cités. Elle avait parcouru une trentaine de pages quand sa mère entra. Dotée d'un port de tête gracieux, la régente adressa un sourire à sa fille. Il rehaussait les rides d'expression autour de ses yeux gris-bleus, si semblables à ceux de la princesse. Dans son chignon, des mèches blanches éclaircissaient son blond naturel.

Goldycia se leva, pour s'incliner face à elle.

— Bonjour, mère.

— Rassieds-toi, ma chérie.

Ses lèvres se pincèrent. Goldycia se crispa. Cela n'augurait rien de bon.

— J'ai une nouvelle qui ne va pas te plaire, ma fille.

Goldycia s'exprima d'une voix tendue.

— Je vous écoute, mère.

De ses mains élégantes, la reine déploya une lettre.

— L'île de Cuivre te convoque. Tu suivras une formation pour devenir peintre, là-bas.

Goldyicia eut l'impression que chaque particule de son corps s'effondrait.