180 Degrés - Chapitre 1

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Le jour se levait sur la vallée. Le soleil éclairait d'abord la montagne d'en face, permettant à toutes les nuances de vert de se décliner. Les sapins se détachaient du bleu limpide du ciel.

Un peu plus bas, les prairies, plus claires, s'offraient déjà aux rayons bienfaisants qui réchauffaient l'air encore frais de ce matin de printemps.

Ensuite, les premiers chalets s'étalaient sur les courbes douces de la vallée, et ils se succédaient sans discontinuer, pour finir par se regrouper et former le centre d'un village alpin.

Bientôt, le soleil atteindrait l'autre côté de la vallée, puis les hauteurs sur lesquelles se dressait sa propre demeure, sur l'adret, le versant qui en reçoit les rayons jusqu'au soir.

Alice avait tous ses sens en éveil.

Déjà, elle se laissait imprégner par la paix émanant du paysage qu'elle avait sous les yeux. Elle respirait aussi l'odeur sucrée des sapins, silhouettes sombres mais familières, qui se dressaient derrière le chalet presque isolé où elle avait élu domicile, au moment où elle et Marquand avaient décidé de quitter Paris et tous les drames qu'ils y avaient vécu.

Sur sa peau, elle sentait l'air frais mais agréable du matin.

Ca n'était pas encore tout-à-fait la paix, ce qu'elle ressentait. C'était un peu moins doux, un peu moins léger, mais c'était déjà un début.

A Paris, Alice avait vécu le pire, ou presque, et sa fuite dans les Alpes n'avait pas encore permis de rétablir totalement son sentiment de sécurité. Cela viendrait avec le temps, elle n'en doutait pas : car elle n'avait pas fait que fuir, pour laisser derrières elles toutes leurs difficultés. Elle voulait reconstruire ce qui pouvait l'être, et elle savait qu'elle avait plutôt de bonnes cartes en main.

Ces cartes avaient des visages, un peu comme ces Rois, ces Reines et ces Valets, dans les jeux de Tarot. Son Roi de Cœur, elle l'invoqua avec un petit sourire aux lèvres : Marquand, celui qui cheminait depuis tant d'années à ses côtés, tantôt cavalier solitaire, tantôt chevalier servant. Parfois même, baron noir, lorsqu'il échappait à tout contrôle, emporté par des émotions sombres qu'il ne canalisait pas toujours très bien.

Comme Atouts, elle avait ses fils.

Son petit Paul, âgé de sept ans, et son tout-petit Augustin, de quelques mois à peine.

Enfant miraculeux, enfant miraculé, il était celui par lequel était né ce brutal besoin de changement.

En venant au Monde, il avait apporté avec lui des réponses à ses parents. Et puis aussi, surtout, plein de questions.

Il y avait pas mal d'événements et d'émotions difficiles qu'Alice et Marquand avaient enfouis, volontairement ou pas, durant toute la période qui avait précédé la grossesse d'Alice, et ensuite, pendant les neufs mois qui avaient précédé la naissance d'Augustin.

Quand l'enfant était venu au Monde, il avait apporté avec lui les souvenirs que ses parents avaient cru pouvoir enfouir.

Et pourtant... Ils en avaient déployé, de l'énergie, pour oublier, ou pour tenter de le faire.

Cette envie de ce soustraire à ces douloureux souvenirs était venue spontanément, un soir du début du mois d'avril, presque un an auparavant.

***

Avril, un an plus tôt.

Fébrilement, Marquand avait déchiré le rebord de l'enveloppe, et en avait extrait la feuille, en la froissant un peu au passage, tant il était impatient.

180 DegrésWhere stories live. Discover now