Alors que je m'éloigne des autres, les choses changent. Je n'entends plus le bruit des rires, je n'entends plus le bruit de la musique et de la vie, je n'entends plus le bonheur. Malgré les événements le bonheur est toujours là, oui, il a prit le dessus, il prend toute la place dans nos cœurs.
L'appel.
Mais la lumière aussi s'éloigne : pendant un moment, je suis seule, seule avec les ténèbres et le silence. Il n'y a plus rien, seulement moi, en tête à tête avec mes pensées. Je ne dois pas les laisser submerger le calme précaire que j'ai réussi à établir dans mon esprit. Mais ils arrivent, un tsunami d'émotions, qui font trembler les certitudes. Elle me manque, le vide est là, il grandit. Je réalise, pendant quelques secondes.
J'inspire.
J'expire.
Le tsunami, comme attiré par le temps qui se retourne, se résorbe.
Il devient une petite sphère, potentielle source de désastre, lumineuse de danger.
Mes paupières plissées, fermées à toute aide extérieure, se relâchent, mes yeux s'ouvrent lentement. Je ne contrôle plus, je ne contrôle pas.
L'appel retentit au fond de moi.
Autour de moi, lentement, la noirceur du monde se dissipe. La ville est dans une lueur froide, apaisante, la nuit règne et impose ses lois. Alors que j'avance, le sable est de plus en plus présent. Et plus je me rapproche de la plage, plus mes sensations de précisent, elles sont profondes et puissantes. Je veux tout ressentir, je veux faire partie de ce qui m'entoure, là, maintenant. Je suis avide de sensations.
Un pas, une émotion négative s'envole.
Foulée après foulée, tout disparaît, et lorsque je me retrouve devant la plage, je suis libre.
Libre d'aimer, libre de vivre, libre de profiter, libre. Tout simplement.
La plage plongée dans une obscurité douce m'apparaît : les courbes, les empreintes et les traces du vent par lequel est modifié en permanence le sable semble s'être immobilisé, figés dans des formes de montagnes après la formation du monde. Des puits noirs parsèment le sol.
L'appel.
Je m'imagine à la place de ces grains, de ces cristaux de sable, surplombés par ces ombres majestueuses et effrayantes. Comment une multitudes de petites choses, toujours plus minuscules peuvent elles être assez nombreuses pour former de telles beautés ?
J'enlève alors mes chaussures, et la fraîcheur atteint ma peau sensible. En posant mes pieds dans le sable épais, je remue les orteils, je ressens la fluidité des grains qui m'entourent, comblant chaque espace.
La bise marine agite mes cheveux. Je les détache, pour mieux les sentir onduler, forcés d'obéir aux forces de la nature. Le vent semble me porter : je m'envole, je cours en goûtant a l'air parfumé d'iode et de sel, soulevant des gerbes de sable.
L'appel. Il est toujours là, tout au fond, dissimulé.
Le souffle de l'air chaud, mais rafraîchissant à la fois, glisse le long de mon visage et de mes bras écartés. Je peux m'envoler, je joue avec la nature, je taquine les étoiles. Je pourrais la rejoindre, peut être, dans cet endroit où elle repose, heureuse, sans souffrance, pendant quelques instants, voltiger avec elle dans les airs, heureuse. Je redescends.
L'appel.
D'en bas, je relève la tête, j'observe la voûte. Tout en haut, le ciel est noir, vide ou plein, je ne sais pas. Parsemé d'étoiles brillantes, des petites, des grandes, sont elles loin ? Je ne sais pas.
Quand mon regard se rapproche de la limite, de la rencontre entre la terre, le monde des vivants et de la fatalité, et le ciel, le monde des rêves et de la liberté, tout semble brouillé. Le noir perd de sa profondeur, se teinte de bleu et de rouge. Les étoiles, tentant de fuir la folie des hommes et leur lumière destructrice, semblent disparaître. La ville est là, elle me fait peur, elle luit d'une lueur orange et inquiétante. Je détourne le regard, mais j'entends encore le rythme de la musique, je le sens résonner dans ma poitrine.
L'appel.
Mon corps me mène sans que je l'aie voulu à la mer. Elle comble tout jusqu'à l'horizon de sa couleur bleue marine, foncée, presque noire, les couleurs s'échangent. Lord du contact froid et doux avec le sable mouillé un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale, mes pieds s'enfoncent légèrement, mes empreintes disparaissent, effacées par la houle qui va et vient, laissant derrière elle des traînées blanches et mousseuses. Maintenant le vent me fouette le visage, emplissant mon nez et ma bouche de l'odeur du monde. Je m'avance dans l'eau, et déjà je m'habitue à la température. Les vaguelettes lèchent mes mollets, en font le tour, les dépassent puis se retirent, exerçant sur mes jambes une légère pression qui me dit de me débarrasser de ces habits inutiles et de plonger, la tête la première.
La mer m'appelle.
Sa masse sombre et mouvante m'attire, j'imagine les trésors qu'elle referme, les recoins à découvrir, ou alors le vide, illuminé par la lumière blanche qui traverse la surface. C'est une autre forme de vie, une seule entité plus intelligente que nous tous réunis, une seule puissance silencieuse. Elle m'effraie, mais me fascine. Personne ne peut échapper à son emprise, personne.
L'appel. Il est palpable.
La plénitude m'envahit, grâce au son des vagues je m'imagine l'eau qui se rassemble, qui monte le plus haut qu'elle peut, avant de retomber sous son propre poids. Alors elle roule, dans un tonnerre assourdissant elle s'écrase, puis glisse sur le sable en sifflant doucement tel un serpent d'eau, avant d'être rappelée par l'endroit d'où elle vient. Depuis la nuit des temps, ont toutes les infimes gouttes voyagé partout dans le monde ? Ont elles visité tous ces endroits, ces épaves menaçantes, ces grands fonds peuplés de créatures étranges, ces criques à la lumière particulière, ces continents submergés, ces endroits ou les créatures semblent planer dans une étendue lisse et vide de tout ?
L'appel.
Je rêve d'être une goutte solitaire, de vivre mes rêves d'aventure, d'échapper à la masse qui se dirige en permanence vers la même direction, qui tourne sur elle même. Je me livre à cette étendue plus humaine que n'importe qui sur cette planète, qui peut tuer, qui peut accueillir, qui peut aider, qui peut aimer sans différence, qui peut décider du destin sans prendre compte du passé ni du futur. Je rêve de magie. Je rêve de liberté. Je rêve de bonheur. Je rêve de toi, je rêve d'être avec toi, je rêve de rêver et d'accomplir avec toi.
Les pieds dans l'eau,
Le cœur ouvert,
Seule,
En communion avec la mer,
Répondant à l'appel,
Je rêve.