Chapitre 2 : La Muse

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- Sérieux ?!

Denki détailla la pêche comme si c'était une antique relique d'une civilisation disparue.

- Tu sais pas qui c'est qui t'as offert ça ?

Kyoka secoua négativement la tête, perplexe. Assis tous les deux sur le lit de l'adolescente, elle avait invitée son ami à venir chez elle, pour lui parler de cet étrange cadeau. Le blond, si concentré à examiner sur toutes les coutures un de ces fameux fruits, avait l'air d'être un grand mathématicien face à un paradoxe, ce qui fit légèrement rire Kyoka.

- Qu'est-ce qui a de si drôle ? lui demanda t-il subitement, j'ai quelque chose sur la figure ?

- Non ! C'est que...

Elle chercha un court moment ses mots, sous le regard intéressé de son ami.

- Que... ? répéta t-il, l'encourageant à parler.

- Que... que tu es plutôt... "mignon", quand tu réfléchis. On en oublie que t'es un crétin.

Denki rougit violemment, tout en détournant la tête. Il paraissait affreusement gêné, et Kyoka regretta immédiatement ses paroles.

- Oh... M-merci... bafouilla t-il, en resserrant dans sa main le fruit, mais je-

- Oublie ça ! paniqua l'adolescente, je voulais juste dire que tu-

- QUE J'AVAIS L'AIR CON, J'AI COMPRIS !

- MAIS JUSTEMENT, TU COMPRENDS RIEN !

Elle attrapa rapidement un oreiller, avant de le lancer sur la tête de l'adolescent, qui se le prit à l'arrière du crâne.

- AÏE ! C'est pas un argument recevable, ça ! geigna t-il.

- Mais c'est le seul que tu sembles comprendre ! répliqua t-elle dans un rire.

Le blond déposa l'étrange pêche sur la table de nuit, juste à côté du panier d'oseille, avant de s'emparer du même polonchon qui l'avait "blessé", se tourna vers son amie, et lui renvoya son oreiller, déclanchant ainsi une bataille de coussins, en oubliant totalement le sujet de base.

La nuit était silencieuse.

Kyoka n'arrivait pas y croire.

Pas la moindre mélodie dans l'air, ni le plus simple fredonnement. Tout était calme, muet, terrifiant.

La voix de son jardin s'était tut, un soir, sans qu'elle ne l'entende venir.

C'était la première fois, depuis sa première nuit passée dans cette maison, que la mystérieuse personne n'était pas venu chanter dans son jardin. C'était peut-être bizarre, mais elle n'avait pu trouver le sommeil, ce soir-là. Il manquait quelque chose, une petite part de son quotidien, un rien du tout qui lui donnait tout, et elle ne pouvait plus dormir.

Elle était comme un enfant à qui on refusait de jouer sa berceuse. Il y avait un vide, quelque chose qui manquait à ses oreilles, et qui lui manquait surtout à elle.

Ses doutes s'étaient affirmés au fil des jours, et surtout des nuits, car la voix ne revenait pas. Son jardin restait désespérément silencieux. Celle qui enchantait ses rêves grâce à ses paroles tantôt tristes, tantôt joyeuses, qui l'avait indirectement aidé à traverser de rudes épreuves grâce à la magie de la musique et du chant, avait disparue.

Kyoka aurait tellement aimé voir, ne serait-ce qu'une seule et unique seconde, celle qui était derrière toutes ces mélodies. Elle aurait aimé la remercier pour tout, pour l'avoir indirectement inspirée et sauvée, pour être la seule personne qu'elle pourrait écouter des journées entières sans se lasser... pour être elle, tout simplement.

Elle avait du mal à s'endormir, maintenant. Son équilibre nocturne ne reposait que sur peu de choses, mais comme le principal pilier s'était brusquement effondré, elle n'y arrivait plus. Elle guettait le moindre bruit, le moindre craquement de branche, le moindre souffle de vent dans les feuilles qui pourrait lui assurer que la voix allait revenir, et se remettre à chanter comme elle l'avait fait depuis des années.

Elle attendait sa Muse.

Les pêches étaient toujours là, elles ne semblaient ni pourrir, ni perdre en qualité gustative. Elles restaient belles et douces, immortelles, en quelque sorte. Ni elle ni Denki ne comprennaient cela, même si il ne fallait pas trop compter sur lui pour ce genre de choses.

Lors d'une nouvelle nuit silencieuse, elle s'était emparée de l'un de ses fameus fruits, qui n'avaient pas changés d'un pouce depuis qu'elle les avait découvert sur sa table de nuit, dans leur petit panier.

La musicienne avait doucement tapotée la peau de la pêche, cherchant sans vraiment s'en rendre compte un rythme particulier. Au bout d'un certain temps, elle commença à chantonner des petits refrains sans prétentions, à voix basse pour ne pas réveiller ses parents.

Une fleur vient d'éclore
Je vois ma vie défiler
Défiant une nouvelle fois la mort
Je sais d'avance que c'est terminé
Cherchant dans mes pauvres espoirs
La force folle d'y croire
Tout devient de plus en plus noir…

Elle s'arrêta, fixant le fruit qu'elle tenait précieusement entre ses mains. Que pouvait-il se passer ? Ce n'était pas comme si-

Quelqu'un toqua doucement à sa fenêtre.

La Princesse des PêchesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant