Bimbo

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J'avais 9 ans, quand j'ai rencontré Bimbo pour la première fois. Avec ma famille, je visitais le zoo de Peaugres. Depuis 3 ans, la grande fierté de l'établissement était Robin, le premier bébé Orang-outan de Sumatra né en France. Nous nous réjouissions de découvrir lui et ses parents Bimbo et Ushie.

L'espace des singes était un petit bâtiment relié par un pont à une île entourée d'eau. Il s'y dressait des structures qui n'étaient pas sans rappeler une grande aire de jeux pour enfant. À notre arrivée, l'île était déserte, pas un seul animal n'y batifolait. Ce fut là que nous fîmes la connaissance de Sébastien, le soigneur des Orang-outans. Je ne sais plus comment nous l'avions abordé, toujours est-il qu'il nous raconta le drame qui s'était déroulé la veille.

Malgré les écriteaux l'interdisant, un visiteur avait voulu donner un morceau de pain aux singes en le lançant sur l'île. Mais la nourriture avait atterri dans l'eau. Intrigué, Robin avait tenté d'attraper le pain, mais était tombé dans l'eau. Ushie avait alors sauté pour attraper son petit. Ces singes ne sachant pas nager, elle avait elle-aussi sombré. Bimbo avait réussi à repêcher la femelle, mais pas le bébé. Lorsque les soigneurs étaient intervenus, Robin était déjà mort. Quant à Ushie, elle avait rendu l'âme quelques heures après dans les bras de Sébastien. Le pauvre homme était en larme à nous raconter son histoire.

Il nous accompagna au bâtiment qui abritait l'enclos des Orang-outans. Une énorme vitre séparait les visiteurs d'une pièce surélevée. Des cordes faisant office de liane pendaient du haut plafond. Parmi des objets hétéroclites, se tenait Bimbo nous tournant à moitié le dos. Recroquevillé sur ses jambes, la tête affaissée, il était l'image même de la tristesse. Ses longs poils roux pendaient misérablement le long de son corps et son immobilité n'était perturbée que par sa longue et lourde respiration. Il aurait fallu être bien obtus pour ne pas admettre que cet animal ressentait cruellement l'absence de sa famille. Moi, j'étais traversée par la détresse de cet être.

L'enclos comportait un petit espace isolé habité par un autre mâle. Sébastien nous présenta Mano, tenu à l'écart des autres, car agressif et dangereux. Lui-même ne s'en approchait que rarement. Cet animal dégageait effectivement quelque chose de redoutable. Il était plus grand, plus imposant que Bimbo. Il nous toisait du regard ne laissant aucun doute sur le sort qu'il nous réserverait, si nous passions à sa portée.

La suite de notre visite se déroula pas moins joyeusement qu'elle n'avait commencé. Mais à nos yeux, les panneaux « INTERDICTION DE NOURRIR LES ANIMAUX » délivraient un message plus concret et vital qu'auparavant.

Nous revînmes très souvent au zoo. Nous adorions l'île aux Maki Kata, où les lémuriens aux queues raillées y évoluaient librement et où il valait mieux surveiller appareils photos, chapeaux ou autres possessions pour ne pas se les faire chiper. J'étais toujours impressionnée par les crocodiles se gobergeant dans de l'eau sale et dans une odeur nauséabonde propre à leur engeance. Nous refaisions toujours le labyrinthe aux miroirs qui malheureusement n'avait vite plus eu de secrets pour nous. Le safari en voiture offrait le spectacle d'autruches qui bectaient les vitres de notre véhicule dans l'espoir d'attraper le reflet des rayons de soleil. Nous y avions aussi vu bisons et ours se toiser longuement pour décider qui accéderaient en premier aux fruits frais.

Parmi toutes ces merveilles, ma préférée restait l'espace des Orang-outans. J'avais été ébranlée par l'empathie que j'avais ressenti pour un animal, si semblable, mais pourtant si différent de nous. J'étais fascinée. Je comprends aujourd'hui que j'étais piquée par l'attirance vers l'inconnu, le désir de communiquer avec l'alien. Chaque fois que nous rendions visite à Bimbo, j'avais l'espoir d'interagir avec lui, de le voir me reconnaître. Au début, il n'était que prostré, sans aucun signe de vivacité. Mais au fil de nos visites, nous remarquions du progrès. Il se grattait, jetait un regard en coin aux visiteurs, tenait un jouet quelconque auquel il portait une attention molle. À chaque fois, je le dessinais sur mon fidèle carnet de croquis. Un jour, à ma plus grande joie, il s'approcha de la vitre, intrigué par mon activité. Lors de nos visites suivantes, le même manège se répéta. Parfois même, il me montrait un des objets qui jonchaient le sol de son enclos. Plusieurs années s'écoulèrent ainsi.

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⏰ Last updated: Aug 20, 2018 ⏰

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