Le Diable Dans un Thé à La Citronnelle

La rencontre de Pirus et d'Esmalda

- Tonnerre!!! Où est ce diable de Pirus par tous les saints !?vocifère Mme Célise la marchande de charbons au marché local. Elle jure que si Pirus lui fait perdre une si bonne aubaine elle lui ferait..arrrgh!
-Trouvez moi un autre porteur de charbon rapidement sinon je m'en vais, s'impatiente Mme Maldouin
-Comprenez moi, il doit être en train de déjeuner ou de se frotter aux putains du sanatorium...

Mme Maldouin, qui est une si bonne cliente et chère à Célise s'évente en prenant soin de retrousser avec dédain son nez de mulâtresse. Son mari, Blaise, s'est récemment plaint du charbon de bois qui s'accumulait dans la cour, mais c'est le seul prétexte qu'elle ait trouvé pour aller rejoindre son porteur favori, Chaussette. Quel nom idiot que porte celui là, mais elle adore la force de son nègre natif de l'Artibonite*. Aujourd'hui elle est terriblement déçue parce que Chaussette n'est pas là, mais pour ne pas mettre la puce à l'oreille de cette pie de Célise qui jure comme une charretière elle achète ce sac de charbon.

-Ah le voilà enfin Mme Maldouin !s'exclame la marchande en voyant Pirus accourir au loin
-Pa..Pardon Mme je prenais un maïs chaud chez Mirna et...et...
-Assez ! Apporte moi ce sac chez Mme Maldouin, Pirus

Il faut dire que Pirus était extraordinairement laid, voire affreux. C'était un nabot boiteux, un visage digne d'un film d'horreur on ne l'oubliait jamais une fois qu'on l'eût vu. C'était peut être l'un de ses rares avantages. L'autre était sa puissance à soulever les sacs de charbon, certains disaient qu'il avait un pwen*. Pirus passa les mains sous le sac, et comme par magie il se retrouva sur sa tête.
Mme Maldouin prit sa voiture et conduisit lentement afin que le nabot puisse tenir la cadence, elle secoua la tête et se dit que celui qui suivait sa voiture était un démon et pauvre qui plus est. Oh mais elle s'imaginait bien qu'ils existent des démons plaisants qui octroient beauté et richesse, plaisir et luxure,  car pour notre mulâtresse la laideur rime avec pauvreté.

Après une demi-douzaine de tentatives et une quatorzième éraflure à l'aile gauche, Mme Maldouin gara sa voiture et tourna la tête. Incroyable ! Le portefaix a réussi sans faiblir à garder le poids sur sa tête. Elle descendit et:

-Déposez le là, dit elle en regardant avec dégoût et mépris le portefaix, lui lançant un billet de 100 gourdes* et s'en allant.
Pirus regarda autour de lui et vit une cour si belle et si entretenue qu'il ne sût où mettre le sac qui plus est, commençait à se faire lourd sur sa tête. En s'avançant il aperçut un magnifique jardin d'où s'échappaient des effluves de citronnelles parmi lesquelles étaient couchées une demoiselle. Des cuisses jaunes comme le maïs, des lèvres pulpeuses à souhait, une chevelure couleur nuit dans laquelle il aurait voulu s'abîmer. Entre temps Mme Maldouin étant revenue surveiller Pirus de peur qu'il ne lui vole quelque objet précieux lui dit :
-Mais que faites vous là, planté comme un idiot ! Déposer le sac et allez vous en!
Pirus arraché si brusquement à sa contemplation, perdit l'équilibre et laissa s'échapper le sac duquel le charbon s'éparpilla. Le bruit sourd ayant réveillé Esmalda, car c'était son nom, elle regarda le nabot qui allait et venant comme un animal crasseux ramasser le charbon.

- Où as tu trouvé cette...chose maman?en prenant soin de marteler ses mots
-Je ne trouvais plus mon porteur habituel donc j'ai dû me résigner
-Tout ces stratagèmes pour voir Chaussette, dit elle moqueuse et en s'enfuyant à travers les touffes de citronnelle
-Que dis tu Esmalda! Reviens tout de suite!

Pirus lui, qui avait quitté la maison des Maldouin ne supportant l'odeur de la citronnelle qui le met toujours dans un état second et qui a causé sa mise à la porte par sa mère adoptive le jour où, ayant bu un thé à ce parfum, il a failli violer la fille de celle ci. Errant dans les rues, Pirus prit pour la première fois conscience de sa laideur,son ignorance, sa condition misérable. Il n'alla pas prendre son dîner chez Mirna,ni son tranpe chez Chesa, il refusa la partie de Dominos que lui proposait son partenaire habituel Gwolobo et partit sur le promontoire, son repaire secret.