Il expire la fumée, reprend son souffle qu'il n'avait pas eu conscience de retenir si longtemps. Le souvenir de cette nuit le hante, chantonnant à son oreille des mélodies de défaite et de douleur, infiltrant à même son sang un pur sentiment de honte et de fêlure. Comme si corps s'était brisé en même temps que ses espoirs. Ça fait quoi ? Trois mois ? Sûrement plus. Peut-être moins. Il n'a pas envie de calculer, son cerveau semble patauger mollement dans une flemme qui s'est maintenant installée pour durer.
Une flemme de sourire, une flemme de réfléchir, une flemme de vivre tout simplement, parce que tout ce qu'il pourrait vivre ne serait pas à la hauteur de ses espérances.
Il n'a jamais parlé à quiconque de cette chaleur qui s'empare de son être à chaque fois que Thomas apparait. Pas par manque d'amis, ou par embarras. D'abord par fierté, cette fierté qui était de se dire que ce n'était rien. De passade. Pas important. Thomas n'avait pas à ce point pris possession de son âme. Il était encore libre, il pouvait être libre s'il voulait. Fière comme un coq, il avait continué de consommer son ami, comme il enfilait les cigarettes, se persuadant que s'il voulait, il pouvait arrêter. Au bout de deux mois, il avait su qu'il était accro au tabac. Il avait fallu dix ans pour qu'il comprenne qu'il dépendait de son aîné. Et ça, ça craignait.
Mais ce n'était pas la seule raison. Non, s'il n'en a parlé à personne même après que toute fierté se soit évaporé, c'était parce que personne ne pouvait comprendre. « T'es amoureux quoi », on lui aurait conclu. Sauf que non. Damien n'est pas amoureux. C'est plus compliqué que ça. Ça n'a rien d'un simple béguin.
Ce qu'il ressent, c'est tout d'abord de l'attirance. Une attirance enivrante qui semble à chaque seconde être plus intoxicante. Un désir purement charnel et animal qui le rend fou rien qu'à la vue du bouclé. Alors que son être tout entier voudrait dominer son ami et lui ôter son sourire moqueur, c'est le plus âgé qui le réduit à l'état de larve, prête à ramper à ces côtés. Car même si Thomas ne le voit pas – Damien ne le laisserait jamais le voir - il s'aplatit dans les formes à la plupart de ses requêtes, ne souhaitant que revoir cette putain de flamme narquoise qui danse dans ses yeux à chaque victoire.
Mais il y a autre chose. Quelque chose qui rend cette attirance étrangement pure à ces yeux. Non, il n'est pas amoureux, il l'a déjà été et ça n'avait rien de ce sentiment puissant et lévitant. Il aime Thomas plus que raison, d'une affection débordante, d'une amitié surréaliste, d'une passion enflammée. C'est un sentiment âcre et aigre, mais aussi doux et sucré, que de se sentir comme en parfaite phase avec son meilleur ami. De savoir qu'il ne pourrait vivre sans lui. Qu'il ne pourrait rire sans lui. Qu'il ne pourrait mourir sans lui. Sans Thomas, tout concept d'existence se réduit au néant.
Il n'est pas amoureux, parce que ça n'a rien de comparable. Il a aimé des femmes et des hommes, a eu cette sensation de plénitude avec eux, cette sensation de déchirure sans eux. Avec le bouclé, c'est quelque chose de plus simple. Il est. C'est un composé de sa nature, un organe, un élément inamovible de son être.Il est passionné.
Et cela, personne ne le comprendrait. Que jamais il ne dirait « Je t'aime » à Thomas. Que jamais il ne se considérerait en couple avec lui. Qu'il pourrait aimer quelqu'un mais n'en avoir qu'un goût de cendre et de réchauffé par rapport à cette sensation qui ne s'effacerait jamais.
Ses sentiments n'ont rien de romantiques. Il les ressent comme un instinct de survie.
Thomas, sa drogue, coule dans ses veines depuis si longtemps qu'il sait, au plus profond de ses tripes, qu'il n'apprendra plus jamais à vivre sans.
Il donne un léger coup de poing sur la rambarde, de fatigue plus que de colère. Il n'a plus goût à rien. Même la cigarette semble neutre et froide sous ses lèvres.
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Addiction
RomanceThomas et Damien sont en manque. L'un de nicotine, l'autre de son ami. Et une addiction tout comme une autre peut mener à des nuits chamboulantes.