Elle n'avait pas les yeux exactement comme le ciel. Elle ne les avait pas exactement comme la mer. Soit. Cependant, tu supposes que cette dernière comparaison est la proche de la réalité et, sincèrement, tu te vois assez difficilement comparer le bleu de ses yeux avec une kyanite ou bien une apatite comme tu as entendu tant de personnes en noir le chuchoter. Ses iris n'étaient aucunement d'un bleu si intense, dire le contraire serait un affreux mensonge. Ses yeux n'avaient pas une couleur morne et terne pour autant. Tu as longtemps cherché de quelle nuance son regard était haussé, sans succès. Et alors que tu marchais, les mains chargées de fleurs fanant, à l'horizon tu as vu la mer se mélangeant au ciel d'une éclatante journée d'hiver sans nuages. Quand le froid rend les couleurs plus vives et claires qu'à la normale. Et depuis, tu fais référence à la couleur mystérieuse par « pas exactement comme le ciel, pas exactement comme la mer ». Tu penses que si on venait à te le demander, la nuance « mer » s'approcherait plus que « ciel » pour ses yeux.
Quand elle était heureuse, tout était calme. Rien de particulier. Tu as dit plus haut que ses yeux n'étaient pas ternes, et tu le penses. Mais, « à la normale », elle n'avait pas un regard. C'était juste un regard. Tu comprenais bien la nuance. La couleur n'était pas exotique, elle était comme celle de n'importe quelle personne aux yeux bleutés que vous viendrez à croiser dans la rue, dans quatre-vingt-dix-neuf pourcent des cas. Le regard n'était pas perçant comme celui d'un chat, il était plat. Comme la mer quand il n'y avait nulle brise, nulle âme, nuls incidents pour la forcer à déployer ses monstres d'eau. .
Quand tout commençait à se gâter, parallèlement à la mer, ses yeux se voilaient et semblaient sombrer dans les abysses avec lenteur alors que l'argument ou la source de mécontentement, eux, commençaient à prendre du terrain. Tu préférais ça. Bien plus distrayant. Dans ses moments d'agitation, la mer est généralement grise, n'est-ce pas ?
Tu supposes que ce jour-là, elle avait cette tonalité à peu de chose près.
Et bien ces yeux suivaient un processus similaire. Ils devenaient quasiment gris, ils perdaient une espèce d'étincelle qui ne quittait ces yeux qu'à ce moment. Tout ceci était accompagné de ses cris stridents mais néanmoins expulsés avec une certaine ardeur, telle une mer en pleine tempête montrant sa puissance avec ses fidèles vagues. Si, en plus de tout cela, elle se mettait à pleurer, tout était presque parfait. Peut-être il lui manquait juste un peu de force. C'était à peu près le seul moment où ses yeux étaient une distraction suffisante pour que tu veuilles les regarder pendant des heures et des heures durant.
Tu te lassais à force d'essayer de trouver la couleur exacte de ses iris. Cependant, à chaque fois tu y revenais. Comme s'ils t'attiraient d'une force magnétique et indestructible.
De toute façon, ce n'est pas comme si elle pouvait crier maintenant. Ou que tu pouvais voir ses globes oculaires.
Elle aimait la mer. Ils étaient pêcheurs de père en fils depuis des générations. Dommage pour elle, elle était une fille. Combien de fois elle a essayé, quand elle était plus jeune, de se glisser dans le bateau de son père quand il partait pour une longue traversée ? Bien trop de fois pour que tu puisses t'en rappeler (même si tu dois avouer que tu as arrêté d'y prêter attention bien vite).Plus tard, quand elle avait compris que c'était inutile, elle s'asseyait juste sur la falaise surplombant le port. Elle regardait si souvent son père partir en mer, les yeux rêveurs et fatigués, un soupir d'envie s'échappant de ses lèvres gercés et ses longs cheveux ondulants dans le vent comme la mer tellement aimée mais si détestée en même temps.
Tu ne lui offrais pas beaucoup de soutient. Elle n'avait pas beaucoup de soutient tout court. Elle n'avait jamais connu sa mère. Et, sincèrement, tu ne penses pas qu'elle aurait pu vouloir la connaitre.
Quoi qu'elle était là ce-jour ci. L'instinct maternel sans doute. Quelle bêtise.
Son père ne l'aimait pas. Elle avait beau se voiler à tous bouts de champs, il ne l'aimait pas. Pas parce qu'elle était une fille (du moins tu ne penses pas que ça soit la raison principale), mais parce que c'était la mer avant tout. Il n'avait jamais aimé « sa femme » - cette expression te fait rigoler. Sont-ils au courant que c'était juste une nuit et qu'elle était un accident malheureux ?- alors pourquoi aimerait-il sa fille ? Sa fille c'était la mer. Point à la ligne. Ou plutôt appât à ligne.
Il a eu au moins la décence de paraitre attristé. Soit. Même si il faisait tâche dans son cirée jaune.
Tu ne sais pas précisément ce qu'il l'a poussée à faire ça. L'amour de la mer ? La fureur de ne pas avoir de père qu'il l'aime et qui préfère une étendue d'eau où les poissons baisent dedans ? Un manque d'amour de tout le monde? Le nombre de spéculations étaient impressionnant.
Avec leurs habits noirs on aurait dit des ombres, pas des personnes. Malgré leurs chuchotements insupportables qui te vrillaient les tympans.
Sans doute un condensé de tout ça. Comme un cocktail mortel à base d'eau salée. Que ce soit l'eau de ses larmes ou celle de l'océan.
Après tout, elles avaient une relation tellement aigüe.
Elles avaient sans doute voulu finir ensembles pour de bon.
Tu as fini par prendre habitude de lancer des fleurs dans la mer, du haut de la falaise. Les paysages marins des abysses où elle est à jamais doivent être mornes à la longue.
Lien de la photo:
https://www.deviantart.com/fuzzychipmunks/art/I-see-the-sea-in-your-eyes-89005735
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Recueil d'histoires innommées
RandomRecueil d'histoires ayant pour unique point commun le fait d'être écrites à la seconde personne du singulier. Je pense que d'autres tags viendront par la suite.