L'Abribus

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Le lampadaire grésilla frénétiquement avant de finalement éclairer la rue de sa lumière blafarde. Au loin, on pouvait apercevoir les feux arrières du dernier bus disparaître au tournant d'un carrefour. Seul restait dans son sillage la jeune femme toute essoufflée, ses talons à la main. Et comme si cela ne suffisait pas, l'orage s'annonça d'un grondement sourd et déversa des trombes d'eau. La jeune femme, prise au dépourvu, revint sur ses pas,s'abriter sous l'arrêt de bus. Là, elle jeta son sac sur le banc et s'assit. L'atmosphère était pesante, l'été était encore très présent et la pluie ne suffisait pas atténuer la chaleur. Le goudron chaud trempé dégageait son odeur particulière.

Elle prit son portable, décidée à appeler un UBER. Hélas, l'appareil aussi s'était ligué contre elle. À peine l'eut-elle déverrouillé qu'il s'éteignit et ne lui présenta plus que le reflet de son visage humide et fatigué. Elle faillit le jeter au loin mais, la main au-dessus de la tête, se ravisa. Il ne lui restait plus qu'à attendre la fin de l'averse. À cette période, cela ne dure pas.

Heureusement,sa montre ne lui avait pas fait faux bond. Elle affichait minuit douze. Le temps est une chose complexe ; c'est fou comme 6 minutes peuvent paraître une éternité, pensa-t-elle. L'averse continuait sans s'atténuer.

«Ex...Excusez moi, fit entendre une faible voix. Puis-je m'abriter avec vous ? »

Elle fit un bond de côté. Les yeux écarquillés, elle dévisagea l'homme qui se tenait en face et tout aussi surpris qu'elle.

«Je ne voulais pas vous faire peur, s'excusa-t-il.

- Vous...vous n'avez pas à vous excuser. C'est moi, je ne vous avais pas entendu arriver, bafouilla-t-elle continuant à le dévisager. Je vous en prie, venez vous abriter.»

Elle le regarda un instant prendre place à ses côtés sur le banc. Il était trempé, les cheveux collés au visage lui masquaient les yeux. Sa chemise et son pantalon non plus n'avaient pas échappé à l'averse, et pour cause ! Le parapluie qu'il tenait était tordu et déchiré. Elle finit par détourner le regard et observa la rue déserte au travers des gouttes. Seuls des lampadaires et des annonces publicitaires l'éclairaient. Discrètement, elle empoignade la petite bombe à poivre et la garda cachée dans son sac . Elle resta un long moment dans cette position, le regard perdu et la main serrée. Elle tendait l'oreille et au moindre geste suspect de sa part, elle était prête à lui arroser le visage.

La grande aiguille finit par atteindre le 6 et toujours rien. Elle l'entendait à peine respirer et commença à croire qu'il lui avait faussé compagnie. Sa main se desserra et au moment de se retourner il prit les devants :

«Comment vous êtes vous retrouvée dans cette situation ?Demanda-t-il. Enfin si ce n'est pas trop indiscret. »

Elle relâcha son étreinte autour de la bombe à poivre, un doigt toujours dessus.

«J'ai tout simplement manqué le dernier bus, dit-elle en ricanant.J'attends que la pluie s'arrête pour pouvoir continuer la route à pied.

- Espérons que vous n'aurez pas à attendre trop longtemps. »

Elle ne sut répondre à cet effort de compassion, qu'avec un sourire.

«Et vous, qu'est-ce qui vous amène par là ?

- J'ai l'habitude de me promener par ici, de parcourir les rues désertes. Avant j'avais mon chien pour me tenir compagnie et maintenant qu'il n'est plus avec moi... Il marqua une légère pause. Il faut croire que j'ai gardé l'habitude. »

Un léger fou rire lui échappa, la faisant à nouveau sourire.

«Au fait, je m'appelle Lucas. »

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