25 octobre 1788
- Mademoiselle Anne, dépêchez-vous, nous devons êtres arrivés en France avant ce soir et pour traverser la frontière nous allons encore y passer une heure ! cria une femme depuis le bas d'un escalier.
- J'arrive madame, je finissais de couvrir le clavecin de mon père.
- Mais enfin, c'est le travail des domestiques mademoiselle !
Anne venait tout juste d'avoir ses seize ans, elle avait les yeux bleus et des cheveux blonds légèrement bouclés qui tombaient gracieusement sur ses épaules. Elle était la fille cadette du duc de Bavière et de sa femme, la duchesse de Westphalie. Elle avait une sœur qui avait été donnée en épouse à un quelconque prince russe de la famille des tsars, et elle avait un frère qui était parti servir le roi de Prusse à sa cour. Elle était donc la seule enfant qui habitait encore dans le château de ses parents. Mais plus pour longtemps car ses parents l'envoyait dans une abbaye en France non loin de Paris. Elle devra y apprendre à devenir une courtisane pour être ensuite envoyée à la cour du roi de France, Louis XVI, sinon elle sera faite religieuse et devra passer le reste de sa vie entre quatre murs. Comme ses parents étaient partis dans leur pavillon de chasse, c'est à sa gouvernante que la tâche d'emmener Anne en France à été confiée.
- C'est bon, je suis fin prête madame Dahirsch.
- Ah, ce n'est pas trop tôt. Montez vite dans la berline mademoiselle.
Dès quelle furent montées dans la berline, le valet de pied referma vite la portière et le cocher fit claquer son fouet dans les airs pour ordonner aux chevaux d'avancer. Le voyage jusqu'à la frontière française fut des plus fatiguant. Surtout pour Anne, qui en plus de supporter la route où de nombreux trous secouaient la berline à de nombreuses reprises, devait aussi perfectionner son français en lisant un livre de grammaire que sa gouvernante lui avait ordonné de lire, alors qu'elle n'était même pas assise dans le sens de la conduite. Heureusement, Anne avait demandé à ses parents si elle pouvait emmener avec elle Margot, une domestique, et qui habiterait avec elle au couvent à Paris, pour lui tenir compagnie.
Ils arrivèrent à Colmar en Alsace, en plein milieu de la nuit, mais ils réussirent tout de même à trouver une auberge, où l'aubergiste forçait le dernier client qui était complétement soûl et qui puait la vinasse, à quitter son établissement. Ils décidèrent donc de faire une halte pour la nuit. Ils mangèrent du potage car c'était la seule chose qu'il restait à l'aubergiste. Ils payèrent deux chambres et le repas avant d'aller se coucher.
Mais Anne n'arrivait pas à trouver le sommeil car même la nuit, la ville était en mouvement : on entendait les chats qui se battaient, les voleurs qui longeaient les murs, les lépreux qui faisait tinter leur cloche continuellement pour faire savoir leur présence et le garde qui faisait sa ronde en arpentant les rues d'un pas lourd. Elle parvint tout de même à tomber dans les bras de Morphée, pour se faire réveiller quelques heures plus tard par le chant du coq, alors que le soleil ne montrait à peine quelques rayons.
Ils reprirent la route juste après avoir manger le petit-déjeuner vers sept heures et arrivèrent vers dix-huit heures au couvent, où dès le moment où la berline passa le porche, une douzaine de religieuses accouraient à leur rencontre.
Certaines prirent Anne par les mains pour lui montrer sa chambre, pendant que d'autres religieuses déchargeait ses bagages. Après lui avoir montrer la mezzanine qui lui servirait de chambre, elles lui préparèrent un grand baquet d'eau chaude et la lavèrent. Pendant qu'elle se lavait, une des religieuse qui s'occupait d'elle prit la robe et les bijoux que Anne avait posés sur une chaise, avant de rentrer dans le baquet, pour la remplacer par une simple robe grisâtre. Cela la changerait des somptueuses robe d'organdi, affublées de bijoux, joyaux et parures en tout genres, se disait-elle pensive.
Quand elle fut fin prête, tout le monde se rassembla dans la grande salle à manger où un repas, qui paraissait frugal pour les religieuses qui ne devaient pas manger cela tout les jours, les attendaient.
Puis quand vînt la nuit, les sœurs partirent à la chapelle pour prier pendant que Anne et Margot regagnait leurs chambres, en traversant de sombres couloirs et escaliers éclairés par la seule lumière de la bougie qu'on leur avait donnée.
- Bonne nuit Madame Anne, dit Margot en arrivant devant leurs chambres séparées par un mur épais.
- Bonne nuit.
Anne, en rentrant dans sa chambre fut surprise de découvrir une simple paillasse rehaussée par un trépied de bois et une chaise en osier défaite qui servait de meubles, et une fenêtre qui donnait dans une rue de Paris mais qui possédait trois gros barreaux de fers qui séparait les morceaux de verres. Fatiguée, elle se laissa tomber sur le lit et tomba dans un sommeil profond.
Soudain, vers trois heures du matin, un hurlement d'homme déchira la nuit noire, suivit de bruits d'objets qui tombent, résonnèrent dans toute l'abbaye et réveillèrent Anne, en sueur. Elle ouvrit prudemment la porte, traversa les couloirs avec les restes de la bougie quelle avait gardée, monta et descendit les escaliers, jusqu'à arriver devant la chambre de la mère supérieur :
- Ma mère, avez-vous entendu ce bruit ?
- Quel bruit ? répondit la religieuse encore endormie.
- Ce hurlement !!!
- Je ne vois pas de quoi vous parlez jeune fille, mais sachez que les hurlements et les cris des saoulés et des femmes de peu de vertus dans les rues de Paris, cela est très courant.
- Mais cela venait du cloître ma mère !
- Très bien allons-y, mais vous verrez qu'il n'y a rien dans l'abbaye puisque les portes sont restées fermées depuis que vous êtes arrivée.
La mère alluma une lanterne et marcha vers le cloître à une vitesse avec laquelle Anne eut un point de côté. Elles furent rejointes par les deux sœurs qui étaient chargées de préparer le petit-déjeuner, qui était curieuse de voir la mère supérieur debout en robe de chambre à une heure si matinale. Elles arrivèrent dans le cloître à côté des grandes portes qui donnait sur le monde extérieur, et virent un homme à genoux, à côté de la berline qui avait transporté Anne. C'était le cocher qui se lamentait, avec à ses pieds, une carcasse d'un des chevaux qui conduisait la berline. Anne se retourna pour ne pas regarder le sang qui coulait abondement du cadavre fraîchement tué de la bête, mais c'est là quelle vit par terre sur les dalles de pierres, un message écrit en une langue qu'elle ne maîtrisait pas : "A Это только начало Ω", et avec ce qui paraissait être du sang.