CH2 - URIEL

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Woodville (Texas), 12 Février 2005.

J'avais toujours détesté cette partie du job. Nettoyer derrière eux. Ces maudits Démons ! Rétablir l'ordre, toujours donner le change. Couvrir nos arrières encore et encore. Fallait-il qu'ils soient complètement débiles ? Bien sûr que non. Ces crétins adoraient se donner en spectacle, contrairement à nous.

De loin, j'observai la scène de crime délimitée par les rouleaux jaunes de la police du comté. Le shérif semblait complètement dépassé par les évènements. Son air choqué et dégoûté se devinait même de là où j'étais. Ses adjoints s'activaient autour du corps retrouvé près du lac. Une jeune fille. Encore une !

Un jeune officier s'approcha pour les informer de l'arrivée de la presse. Quittant mon poste d'observation, je m'avançai d'une démarche assurée vers l'attroupement de vautours.

Allez, il est temps d'entrer en scène !

Je dissimulai aussitôt toute cette ironie qui me caractérisait pour ne plus laisser apparaître que cet air affairé du simple membre des forces de l'ordre. J'allumai une cigarette, dans l'attente de faire taire ce shérif de pacotille. Lui se dirigeait déjà d'un pas pressé vers les journalistes, avides de sensationnel.

— Shérif Evans, pouvez-vous nous donner des précisions sur la mort de la jeune Jessica Rivers ? demanda l'un d'eux.

En grognant, je m'avançai et pris aussitôt les choses en main. L'air était déjà étouffant à cette heure de la matinée et ce maudit costume me donnait l'impression de porter une putain de camisole. Dissimulant mon regard peu avenant derrière mes Ray-Ban, je m'interposai et coupai la parole au gentil petit flic.

— Le shérif Evans ne fera aucun commentaire, intervins-je, froidement. L'affaire relevant d'un problème de sécurité nationale, il n'est dorénavant plus chargé de l'enquête. Le FBI prend le relais.

Me moquant royalement des objections des journalistes, j'entraînai le policier vers le légiste.

— FBI, agent Rigger ! Il s'agit du septième corps. Six jeunes filles ont été retrouvées mortes brûlées, dans les mêmes conditions.

— Vous voulez dire qu'on aurait affaire à un tueur en série ? demanda Evans, stupéfait.

— C'est un petit peu plus compliqué que ça, répliquai-je, agacé. Les sept jeunes filles ont toute la même morphologie : brune, la peau claire, plutôt jolie ; elles sont également toutes nées le même jour : le 21 juin. Et enfin, chacune d'entre elles a perdu ses parents quelques mois après sa naissance.

— Nom de Dieu !

— Il vous a sûrement entendus, murmurai-je, en lui lançant un sourire énigmatique.

Nous nous approchâmes du légiste.

— Alors Henry ? Tu peux refaire un topo pour monsieur l'agent très spécial ?

— Une jeune fille du coin. 17 ans passés... Son corps est complètement carbonisé. Aucune trace ni empreinte d'une autre personne. Le corps n'a pas été déplacé.

— Elle serait morte ici même ? insistai-je avec un froncement de sourcils.

Alors que j'observai les alentours avec attention, j'entendis le shérif s'étonner.

— Mais il n'y a pas la moindre trace d'essence ? Pas de briquet ni même une allumette ?

— Rien, nada ! répliqua le vieux légiste.

Le shérif s'agenouilla près du corps et observa ce cher Henry en train de s'affairer. Après une brève auscultation du corps, il aboutit à quelques conclusions, qui me laissèrent de marbre. Rien de nouveau pour moi sous le soleil.

— La mort remonte à cette nuit. Je dirai entre minuit et 5 h. Je ne peux pas faire plus précis, pour le moment, désolé ! Cette jeune femme est apparemment morte brûlée. Aucune trace de lutte, ou d'un quelconque produit inflammable.

— Comment c'est possible un truc pareil ? demanda le shérif.

Un des adjoints s'approcha :

— C'est évident Patron... Combustion spontanée !

Haussant un sourcil amusé, je ne pus retenir un gloussement moqueur. Le gamin vira au rouge pivoine. Évidemment, je ne pouvais pas lui avouer que c'était sans doute lui qui était le plus proche de la vérité.

— Qu'est-ce que c'est que ces conneries ? railla le vieux shérif.

— Bah ouais, j'ai vu ça dans un vieil épisode de X-Files, la semaine dernière. Plutôt cool, non ?

Ah, la télévision ! Quelle merveilleuse invention !

Jack Evans le fixait toujours avec stupéfaction.

— Occupe-toi plutôt de délimiter la scène de crime.

— Oui patron, bredouilla le jeune policier.

Le légiste secoua la tête, de manière affligée.

— Avec tout ce qu'ils regardent, on ne doit plus s'étonner que les jeunes soient aussi bizarres !

— Et pour elle ?

— Je l'emmène.

— Une minute, ordonnai-je d'une voix ferme et autoritaire.

M'agenouillant aux côtés du légiste, j'attrapai une paire de gants. À l'aide d'une pince médicale, je soulevai lentement ses paupières. Près de moi, ce très cher Henry laissa échapper une exclamation.

— Quoi ? s'alarma le flic.

— Elle n'a plus ses globes oculaires ! On les lui a arrachés... Mais qui a pu faire une chose pareille ?

Sans répondre, je continuai mon inspection. Avec précaution, je glissai ma pince dans sa bouche et en ressortis un morceau de papier. On aurait dit un fragment de vieux parchemin.

Comme pour les autres...

Je tirai délicatement dessus pour ne pas le détruire et lus l'inscription :

SON CŒUR SERA PUR ET SON ÂME INCORRUPTIBLE

— Quelle horreur ! s'alarma le shérif.

— On dirait un rite satanique ! supposa le légiste. Une secte ?

Me retenant de rire, devant de telles absurdités, je leur indiquai qu'ils avaient l'autorisation d'emmener le corps, avant de les saluer.

En m'éloignant, je soupirai de soulagement. Les humains étaient vraiment des idiots dans l'âme. Toutes ces exécutions ne me disaient rien qui vaille. Quelque chose de terrible se préparait. Je pouvais le sentir dans mes tripes. Alors quoi ? Quelle était la marche à suivre dans ces conditions ?

Avec l'avènement de la modernité, les hommes avaient cessé d'avoir la foi. Ils ne croyaient plus en Dieu, au Mal, à l'Enfer, en nous... Nous, les Anges ; nous qui avions été créés pour les protéger. Il était inenvisageable, aujourd'hui, de provoquer une guerre sur Terre. Les humains n'étaient pas prêts et les Démons avaient parfaitement conscience de cela. Ils savaient que notre champ d'action était limité ; nous qui obéissions aux règles.

Mais il fallait bien se rendre à l'évidence. Une menace grandissait dans l'ombre et bientôt, nous n'aurions plus le choix. Il faudrait protéger l'humanité coûte que coûte.

De plus en plus inquiet, j'attrapai mon téléphone dans la poche intérieure de mon imper et contactai l'Ordre des Séraphins.

Règle perso n°1 : Toujours prévenir ses frères de sang, avant ses supérieurs hiérarchiques.

J'aurai toujours le temps plus tard de passer ce foutu coup de fil aux Archanges...

La Prophétie des Anges 1.TraquésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant