Margaux et Margot

Du plus loin qu'il se souvienne, Nathan en avait toujours pincé pour Margot. À vrai dire, ça datait du CE2, peut-être même de ce jour où elle l'avait aidé à la piscine. Il avait bien essayé de s'en défaire, de cette fille, mais rien à faire, il l'avait dans la peau.

Maintenant, il avait dix-huit ans. Elle était dans sa classe et il se disait que c'était sa chance. Il la connaissait par cœur : Margot aimait les coquillages, l'électro et le jazz, la danse et la peinture de la renaissance. Nathan savait qu'il aurait pu réussir à la séduire même si jusque là, il n'en avait encore jamais eu le courage. Quelque chose le retenait à chaque fois. C'était que Margot était intimidante avec ses longs cheveux mal attachés et sa cigarette coincée entre ses lèvres maquillées. Elle avait des yeux noirs charbons qui clouaient les garçons comme on écrase des morpions.

Il aurait pu demander conseil à Asaf mais son meilleur ami n'avait jamais été une tombe en matière de secret. Asaf parlait tout le temps, de tout et à tout le monde si bien que personne ne lui confiait plus rien. C'était bête parce que Asaf était un chic type. Ils se connaissaient depuis longtemps mais Nathan n'avait jamais rien osé lui dire. Et puis, il y avait eu hier.

Hier, il avait passé une très mauvaise journée, peut-être même bien la pire de toute sa vie. Ça avait un rapport avec Margot. Ça avait toujours un rapport avec Margot. Nathan avait encore essayé de lui parler mais elle était si distante qu'il avait fini par la laisser. Ils s'étaient revus, quelques minutes plus tard. Elle ne l'avait pas aperçu, trop occupée à fourrer sa langue dans la bouche de Julien.

À chaque fois que Margot avait un copain, ça faisait le même effet à Nathan. Pourtant, il savait que ces relations ne duraient jamais longtemps, qu'elle n'était jamais satisfaite. Il était rentré chez lui, fatigué, énervé et à la limite de pleurer. D'habitude, la maison était déserte mais Asaf avait les clefs. Il était là, allongé sur le canapé, devant une télé-réalité. Il mangeait les gâteaux que sa mère lui avait préparés. Alors quand il lui avait dit, pour plaisanter : « Qu'est-ce qui t'arrive ? C'est à cause d'une fille ?» Nathan avait répondu. Et il avait même donné son nom.

Aujourd'hui, toute la classe était au courant et Nathan n'arrêtait pas de se répéter qu'il s'était trompé : la pire journée de sa vie, c'était aujourd'hui.

- Avec un peu de chance, elle ne sait rien, tenta Benjamin en haussant les épaules.

- Bien sûr que si.

Il avait envie de frapper Asaf ou de l'abandonner quelque part, de préférence en haut de l'Himalaya.

- Tout le monde est au courant, maugréa t-il. C'est mort maintenant.

Benjamin ne répondit pas. Il pensait exactement la même chose. Ils ne dirent rien pendant un long moment. Puis, Asaf arriva, son sac jeté sur ses épaules et son petit sourire bienheureux sur le visage. Nathan serra les dents.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? lui demanda son meilleur ami.

- Il se passe que t'as tout balancé ! explosa Nathan. T'es vraiment qu'un con, sérieux !

- Hé, du calme ! s'écria Asaf en reculant d'un pas. J'ai rien fait, moi ! Je viens d'arriver !

- Putain, Asaf...

Nathan fulminait. Il sait très bien de quoi je parle, pensa t-il en fusillant son ami du regard. Ils s'étaient déjà battus plusieurs fois et même si Nathan n'en gardait jamais un bon souvenir, il trouvait qu'Asaf méritait bien une droite aujourd'hui. Celui-ci posa son sac par terre et fourra ses mains dans ses poches.