Épisode 1

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    Tard dans la soirée du mardi 13 septembre 2067, au sein de l'Unité de Détroit, un homme s'arracha du dossier de sa chaise et, avec le peu d'énergie qu'il avait envie d'y mettre, se leva pour aller ouvrir la porte, que les coups répétitifs et impatients faisaient frissonner. Se cachant derrière la porte alors qu'il la faisait obliquer, il dit alors d'une voix monotone:
- Entrez, je vous prie.
    Ainsi, une jeune femme grande et élancée, vêtue d'un uniforme blanc qui mettait sa peau au teint caramel en valeur et ses cheveux tirant sur le roux qui semblaient flamboyer, se faufila dans l'ouverture juste assez suffisante de la porte. Elle ne le remercia point au passage. De son air solennel, elle pénétra l'antre du chef de la police, le Commandant Van Dyke, un homme qui pourrait bien se révéler utile, voire même être un élément clé pour son enquête. De son côté, on voyait bien que l'actuel commandant de L'Emporis avait du mal à percer à jour celle qui s'était introduite dans son bureau. De toute évidence, il ne tenait pas particulièrement à recevoir une telle visite, même qu'il l'aurait évitée avec plaisir, s'il avait pu.
Cependant, de ses manières les plus gentleman, il prit soigneusement la peine de tirer la chaise face à son bureau, puis de faire asseoir la jeune femme. Cette fois non plus, elle ne le remercia pas. Bien que son attitude supérieure commençait à irriter le commandant, il ne laissa rien paraître. Il se devait de piler sur son ego et d'agir d'une façon bien spécifique: ne pas questionner les manières hautaines et implacables de ce personnage. Souvent, lorsqu'un agent de la sorte entrait votre bureau, ce n'était pas bon signe. On ne voulait définitivement pas se mettre au travers de leur chemin. C'est dans ce genre de moment que quelqu'un d'aussi bas placé qu'un commandant de la police n'était pas autorisé à poser de questions, si on ne voulait pas qu'elles se retournent contre vous, de nos jours. C'est elle qui les posait. Mais le Commandant Van Dyke ne pouvait faire autrement que de s'interroger sur le genre de réponses que cette femme pouvait bien attendre de lui.
Une fois que les deux furent assis, la femme ne perdit pas une seconde et commença à parler:
- Je suis Anister Swan, l'émissaire que vous envoie l'Ordre diplomate des Colombes de l'Unité de Détroit afin de vous prévenir du danger potentiel que représente l'un de vos détenus. De plus, vous détenez des informations qui nous seraient très profitables. Ainsi, nous vous demandons de bien vouloir collaborer et de répondre le plus sincèrement possible à quelques questions. Acceptez-vous?
   Le commandant ne capta que quelques bribes de mots de cette volée d'informations qui lui sembla, pour la grande majorité, complètement superflue. Ce n'était qu'un discours formel. L'Ordre des Colombes? Était-ce une blague? Que venait-elle faire dans un quartier aussi modeste et pourquoi fourrait-elle son nez dans les affaires insignifiantes de la police? On entendait si rarement parler de cette organisation qu'on la comparait souvent à une organisation fantôme. Jusqu'alors, le Commandant aurait même nié son existence, mais il ne pouvait pas nier la présence d'Anister Swan, avec son uniforme blanc comme neige, couleur emblème des Colombes.
- Il semblerait que je n'ai pas le choix, si vous êtes bien une envoyée des Colombes.
   La jeune femme le regarda droit dans les yeux, le sonda et ne parue guère convaincue par ce sous-entendu ironique. Lui aussi la testait. Il ne savait pas encore s'il pouvait lui faire entièrement confiance, mais il savait qu'obtenir une relation basée sur cette valeur n'était pas l'objectif principal de cette femme.
- C'est exact, ajouta-t-elle finalement alors qu'un subtil rictus narquois s'étirait sur son visage.
   Sur un petit pad électronique qu'elle venait de sortir de son manteau, elle défila son index, sûrement à la recherche de sa première question. Elle releva les yeux, quelques secondes plus tard, et les replongea, une seconde fois, dans ceux du commandant. Enfin, ses lèvres se remirent à se mouvoir.
- 17 heures se sont écoulées depuis que vos patrouilleurs nocturnes ont arrêté un homme du nom d'Aslan Bauer. Qu'étaient ses activités juste avant son arrestation?
- Il faisait une prestation grotesque en pleine rue! C'était le milieu de la nuit. Un résident de cette rue a fait appel à nous. Ce n'est pas rare, ce genre de cas, vous savez?
   Les doigts d'Anister se déplacèrent sur l'écran à une vitesse robotique. Elle notait tout.
- Comment vos coéquipiers vous ont-ils décrit l'état psychologique de cet homme après l'avoir interrogé?
- N'avez-vous pas lu son dossier? Toutes les réponses à vos questions s'y trouvent, Agent Swan, souffla-t-il.
Il commençait à douter de l'efficacité d'Anister Swan. Il ne voyait pas où elle voulait en venir.
- Il devait être simplement sous influence de drogues, conclut-il finalement.
- Un témoignage écrit ne vaut pas un témoignage oral. Je vous redemande donc la question: Que vous ont rapporté vos collègues, commandant Van Dyke?
- Aslan Bauer n'est qu'un dérangé, qu'un perturbé, s'exclama l'homme d'un seul souffle et sur l'offensive, comme s'il cherchait à la défier. Il ne voyait pas comment elle pourrait en savoir plus que lui sur ce dossier. Des gens comme Aslan Bauer, il en voyait tous les jours!
- S'il était seulement sous influence, il n'est pas dérangé.
- Quand il est rentré au commissariat, je l'ai vu! Il ne tenait pas en place, il se débattait comme un déchaîné. Et puis, il criait de telles bêtises!
   En prononçant ces mots, le Commandant sentit une sorte d'angoisse s'installer dans son esprit, comme un vieille amie redoutable qu'on essaie vainement de tamiser. Lorsqu'il se remémora la scène, il se souvint avoir ressentit une drôle impression de malaise lorsqu'il avait croisé le regard d'Aslan. Des regards comme le sien, il n'en avait pas croisés souvent. Un regard si terrifié, mais si vide en même temps, comme si son âme s'était réfugiée ailleurs. Il se l'admit, ce regard effarant l'avait ébranlé. Pourtant, cette scène lui avait paru si loufoque qu'il avait cru plus sage de se convaincre que le dossier d'Aslan Bauer ne différait pas de celui de jeunes adultes qui avaient légèrement abusé de substances qui pervertissent l'esprit et qui, en conséquent, avaient un peu bousculé l'ordre public. Par la suite, en le regardant une seconde fois, il lui paraissait évident qu'il n'était simplement pas à jeun. Pourtant, l'envie de partager ses pensées personnelles ne s'étant pas manifestée, il ne dévoila rien. Il n'avait tout simplement pas envie d'être bousculé, si tard en fin de soirée, alors que ses heures de travail s'achevaient.
- Lorsqu'il est entré, disait-il quelque chose de particulier? demanda Anister en insistant. Elle tenait son bout et il ne pouvait malheureusement pas lui en vouloir, puisqu'à sa place, il aurait fait pareil.
   Simplement, il eût l'impression qu'elle savait déjà la réponse, mais qu'elle voulait qu'il lui confirme ce qu'elle avait en tête. L'hypothèse qu'elle possédait déjà une idée globale de la réponse avant même de mettre les pieds dans ce bureau n'était pas à exclure, pensa-t-il. Il hésita alors avant de répondre finalement:
- Aslan Bauer ne cessait d'affirmer qu'il avait vu le futur... qu'il ne nous restait plus beaucoup de temps.
   Les mots qui lui sortirent de la bouche lui parurent si insensés qu'il s'étonnait que ce furent les siens.
   Subitement, Anister se leva de sa chaise, à s'en blesser presque et sans plus attendre, elle ordonna de voir Aslan Bauer.
- Que pouvez-vous bien vouloir d'un homme qui a légèrement dépassé la sobriété demandée? Il ne voyait définitivement pas pourquoi l'agent Swan s'acharnait sur ce cas.
- Je suis prête à vous parier que cet homme n'a pas touché à une seule goutte d'alcool ou à tout autre drogue!
Le commandant fut surpris de constater qu'Anister, qui était devenue surexcitée, fracturait à tire-d'aile sa carapace d'agent austère et implacable. Elle ressemblait désormais plutôt à une enfant qu'on venait de gâter. Quant à lui, il ne bougea pas d'un poil, presque ennuyé. Il n'avait pas l'intention de se lever à nouveau pour une sottise de la sorte.
- Qu'apportez-vous comme preuve? Si vous n'en avez pas, je ne peux rien pour vous.
  Visiblement, Anister n'avait pas prévu qu'on défie son autorité, ou sa parole. Prise au dépourvu, elle ne sut plus quoi répondre. Des preuves, elle n'en avait pas. On lui avait donné comme mission d'enquêter sur d'étranges cas qui avaient commencé à se manifester à profusion et qui avaient suscité l'attention de l'Ordre des Colombes, mais pour le moment, des informations les concernant, il n'y en avait pas des flots. Les seules informations dont l'Ordre disposait à leur sujet ne pouvaient définitivement pas être utilisées comme preuves.
   Elle se contenta donc de regarder droit dans les yeux son interlocuteur. Elle supputait désormais la possibilité d'aboutir à un accord. Elle ne voulait pas perdre la face, après tout. Elle devait réunir des informations pertinentes et pour cela elle devait rencontrer Aslan Bauer.
   Les précédents suspects qu'elle avait dû interroger avaient eu la fâcheuse manie de se volatiliser avant qu'elle ne puisse leur tirer les vers du nez. Il y en avait eu deux et tous deux s'étaient échappés juste sous son nez, sans que personne n'y comprenne rien. Évidemment, ils devaient avoir eu recours à  de l'aide venant de l'extérieur pour réussir de telles prouesses et cela n'avait fait qu'accentuer l'intérêt de l'Ordre vis à vis de ces cas particuliers. Cette fois, Anister Swan s'attendait au pire, car ce serait d'un commissariat bondé de policiers alertes qu'il leur fallait s'échapper. Elle savait que le temps filait, mais elle savait aussi qu'elle était à court de ressources. Aucun discours officiel ne la sauverait. Elle dut se rendre à l'évidence: l'homme qu'elle essayait désespérément d'amadouer faisait preuve d'une grande audace. 
- Je n'ai aucune preuve, Monsieur. Je n'ai qu'inquiétudes et hypothèses à vous transmettre. Nous pensons qu'Aslan et que d'autres comme lui ne pataugent pas totalement dans la fantaisie. Nous croyons qu'ils sont, en effet, porteurs de propos à prendre en considération.
  Anister Swan joua la carte de l'honnêteté, cependant, le Commandant Van Dyke ne sembla pas impressionné pour le moins du monde. Il avait réussi à tenir tête à un agent de l'Ordre des Colombes. Ils n'avaient en réalité aucune autorité sur lui, il le savait à présent. Il n'était plus impressionné.
- Je ne peux pas vous permettre de rencontrer Mr. Bauer sans preuve, malheureusement. Si nous avons fini, je prierais de bien vouloir sortir de mon bureau. Je ne vous raccompagne pas, je suis sûr que vous connaissez le chemin du retour.
  Le chemin du retour, elle le connaissait, oui, mais ce n'est pas celui qu'elle empruntera. Si elle ne pouvait pas convaincre le chef de la police de l'emmener auprès d'Aslan Bauer, elle s'y rendrait seule.
- Merci de m'avoir accordé un peu de votre temps.
   Puis elle sortit sans se retourner. Elle ne voulait pas que le Commandant Van Dyke voie son visage illuminé par cette expression de malice, cette expression qui précédait le mauvais coup. Elle devait seulement trouver une façon de ne pas attirer l'attention sur elle, mais elle devait agir vite.
   Dans l'Emporis, une tâche avait été attribuée à tout le monde. Ils avaient tous l'air si concentrés, personne ne la remarquerait tandis qu'elle serpenterait parmis eux en direction des sous-sols, en direction d'Aslan Bauer.
   Néanmoins, Aslan Bauer n'avait pas prévu d'être interrogé ce soir. Alors que l'agent Swan se dirigeait vers l'étage du bas, un bruit sourd et tonitruant suivi d'un puissant tremblement s'échappa de la cage d'escaliers. Aussitôt, la panique prit possession de toutes les personnes présentes dans la pièce. Des gens de l'étage du dessous s'étaient précipités pour venir se réfugier en bousculant en en hurlant tels des animaux. On pouvait voir de la fumée s'échapper de cette ouverture menant aux sous-sols. Une explosion s'était produite.
  Horrifié, le Commandant sortit soudain de son bureau en hurlant à tous de rester calme, alors que lui-même cherchait des explications. Lorsqu'il aperçut Anister Swan de loin, il se projeta vers elle. Bien sûr, elle faisait le parfait suspect. Il l'accuserait à coup sûr.
- Swan! Revenez ici! hurla-t-il en courant à sa poursuite, alors qu'elle, qui ne voulait perdre aucune seconde précieuse, s'était à son tour propulsée en plein dans le feu de l'action.
- Nous devons faire vite, Commandant, avant qu'on nous dérobe notre seul témoin!
  Une forte odeur de brûlé les asphyxia brutalement lors de leur descente. Arrivés en bas, ils ne virent quasiment rien,  une épaisse boucane ne leur permettait même pas de se voir l'un l'autre. Ils voyaient seulement les débris qui jonchaient le sol. Pourtant, c'était garanti, le détenu qu'Anister convoitait ne se trouvait plus dans sa cellule.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 12, 2018 ⏰

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