Être avec Janine m'a toujours donné la chair de poule, autant que ça m'a rendu heureuse. Elle a ce don pour me souffler le chaud et le froid. Une seconde elle est douce, à l'écoute et maternelle, celle d'après, elle est mystérieuse, mutique et froide. Cela fait 3 ans qu'un soir sur deux, je lui rends visite. Au fil de ces soirées passées à ses côtés, j'ai pu me rendre compte de la complexité du personnage et de la gentillesse que cela cache. Mais, s'il y a bien une chose que je n'arrive pas à percer à jour, c'est son passé. Elle ne me parle jamais d'elle, de son ancien métier, de si elle a encore de la famille : rien. Nos discussions sont toujours riches, mais jamais de sa vie. C'est pour cela que je suis surprise qu'elle ait fait appel à moi pour réaliser ce pèlerinage sur la terre de ses aïeux.
Une main tenant sa béquille et la seconde fermement accrochée à mon bras, Janine avance lentement dans l'allée principale du grand cimetière, suivit de près par son petit chien. Elle m'a indiqué que le caveau de sa famille se situé à l'autre bout du chemin, dans une espèce de petite clairière. Ce qui veut dire que nous avons encore une bonne centaine de mètres à faire, si ce n'est plus. À voir Janine avoir tant de peine à marcher, j'ai le cœur qui se serre. Elle va être exténuée avant même que nous ayons pu dépasser les premières tombes.
– Vous êtes sûre que vous ne voulez pas que j'essaye de rentrer la voiture dans l'allée ?
Pour seule réponse, elle pince les lèvres et me jette un regard noir par-dessus ses lunettes. Je prends cela pour un « non ».
– On peut peut-être faire une pause alors ?
– C'est moi qui ait 96 ans et c'est vous qui êtes fatiguée d'avoir fait vingt mètres à pieds ?
Je lui souris, amusée par son franc parlé.
– Je demandais cela pour vous, Janine.
Le regard concentré sur ses pas mal assurés, elle secoue la tête. Pamphile, son vieux westie, semble avoir callé sa marche sur la sienne.
– J'avais compris, Camellia. Mais, il est temps que vous arrêtiez de me voir mourante avant que je ne le sois réellement.
Cette fois, c'est un sourire triste que je lui adresse. Ces dernier temps, la mort, ou plutôt sa mort, est une chose dont elle me parle beaucoup. C'est pour cela que l'on est là aujourd'hui. Elle m'a dit sentir ses derniers jours arrivés et, avant de partir, elle souhaitait venir voir le caveau familial une dernière fois. Et, j'ai beau savoir qu'elle n'est pas immortelle, je n'arrive pas à imaginer un lendemain sans Janine. Je me suis attachée à elle durant mes visites. Elle est devenue comme une troisième grand-mère pour moi, bien que je ne lui avouerais jamais. Elle n'aime pas trop faire dans l'« étalage » de sentiments.
– Vous ne voulez pas me faire la discussion plutôt, pour rendre le trajet moins long ?
Ayant utilisé tous les sujets que j'avais en stock durant nos quatre heures de route, je me permets de demander :
– Vous voulez que je vous parle de quoi ?
Janine hausse les épaules, puis lâche de but en blanc :
– Votre petite-amie n'a pas voulu venir avec nous ?
Avec un sourire triste, je secoue la tête et murmure un « non » presque inaudible. Comme elle est sourde, j'aurais juré qu'elle ne l'avait pas entendu. Pourtant, Janine se tourne vers moi en fronçant les sourcils et pinçant les lèvres. Je connais cette expression, alors avant qu'elle ne demande quoi que ce soit de plus, je réponds :
– Elle m'a larguée hier soir.
– Je ne l'aimais pas.
J'ouvre la bouche pour parler, mais ne trouve rien à lui répondre. Je n'ai emmené Iris que deux ou trois fois chez Janine et, il est vrai, qu'elles n'ont jamais eu l'air de réellement s'entendre. Un froid s'était installé entre elle dès leur rencontre.
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Succession - Nouvelloween 2018
Horror10/10/2018 J-21 2/5 Découvrez l'escapade macabre de Camellia et Janine, en plein cœur d'un cimetière. En sortiront-elles en vie ?