- T'es sûr de vouloir faire ça ? Je veux dire, on n'a jamais mis un pied dans ce quartier ça pourrait être...
- Et alors ? J'en ai marre de toujours aller aux mêmes endroits.
Ma réponse avait été prononcée de manière sèche, brute et tandis que j'étais occupé à arranger le bas-pli de mon pull pour camoufler l'arme qui se cachait dans mon dos, j'apercevais le regard de mon meilleur ami. Un regard que je connaissais par coeur, puisqu'il n'avait l'air de ne plus savoir me regarder autrement depuis plusieurs jours déjà.
Un sourire cynique fendu au coin des lèvres, je remettais un peu d'ordre dans mes cheveux tout en l'observant furtivement du coin de l'œil.
- Tu vas encore me servir ta psychologie de comptoir ?
- C'est plus un fait que de l'analyse, et tu le sais.
- Ce que je sais, c'est qu'il s'agit de la seule solution que j'ai trouvé pour pouvoir penser à autre chose et ne pas sombrer. Personne n'est mort, personne n'est blessé, et personne ne m'a jamais pris sur le fait. Contente toi juste... de faire ce qu'on fait d'habitude, lui ai-je intimé sans attendre de réponse alors que je gravillonnais les marches du perron de cette maison dans laquelle je m'apprêtais à entrer, par – ce que les gens appellent, effraction.
Agenouillé face à la porte à double battants en bois sombre, je mordais faiblement ma lèvre inférieure dans un réflexe de concentration tout en utilisant la minuscule pince qui m'accompagnait à chaque virée de ce genre afin de pouvoir faire tourner le verrou et entrer. Cela m'avait pris à peine une minute : c'était devenu un geste presque instinctif désormais, quelque chose que je maniais aussi bien que le plus futile des actes. Au coin de mes lèvres, l'on pouvait deviner le dessin d'un rictus de satisfaction quand j'ai entendu ce petit bruit, à peine audible, qui signifiait pourtant que j'avais réussi la première étape.
Un délicieux frisson d'adrénaline courait dans mon échine tandis que je me tournais vers celui qui m'accompagnait dans chacun de mes coups depuis des mois ; il n'approuvait pas. Il était simplement là pour me venir en aide si les choses dérapaient, si je me faisais attraper.
Après quelques secondes, j'ai fini par me redresser et entrer. Je refermais quasi silencieusement la porte derrière moi sans un regard pour l'extérieur tout en enfonçant une main dans la poche de mon jean.
Chaque pièce de cette immense maison baignait dans une obscurité presque parfaite, et dans laquelle d'ailleurs je commençais sérieusement à douter que qui que ce soit y dorme.
Avec le temps, j'avais fini par repérer chaque infime détail qui devrait m'informer sur la « situation » des maisons où je me rendais. Et ce soir, les choses semblaient... différentes. Pour cette raison, je prenais le temps de faire ce que je ne faisais jamais en temps normal : observer autour de moi. Bien que je n'étais pas assez idiot pour me laisser aller à allumer les lumières, je visitais tout de même furtivement la cuisine ouverte sur ce salon aux fauteuils profonds. Leur simple vue me donnait l'impression qu'une main glacée pinçait le bout de mon cœur ; les souvenirs que de simples meubles parvenaient à me donner étaient insupportables, mais l'heure n'était pas aux simagrées. Et cette heure n'arriverait de toute façon jamais.
Occupé à flâner dans ce qui semblait être la salle à manger, je m'apprêtais à m'emparer d'une des nombreuses photos encadrées qui trônaient sur une immense console en bois lorsque...
- Tu ne ressembles pas vraiment à la gouvernante.
J'aurais pu paniquer. J'aurais même dû, de fait. Mais à la place, un sourire satisfait étirait les commissures de mes lèvres. Comme si l'on venait de me faire une véritable injection, je sentais chaque infime parcelle de mon corps frissonner, non pas de peur, mais d'excitation. J'allais enfin avoir ce que je voulais. Je cherchais l'adrénaline, l'action, quelque chose qui me fasse oublier. Et alors que je me tournais face au propriétaire de cette fameuse voix, mon sourire s'élargissait un peu plus encore : décidément, ça allait être une soirée intéressante.